5 octobre 2015

J'irai runner sur vos tombes

par
 

Avant de te passer à tabac, entendons-nous, j’aime courir. Ça me manque dès que je m'en éloigne trop. Bientôt 27 ans que je suis accroc à la course autant pour l’effort accompli que pour la qualité de recueillement que je j'y trouve. Je n'ai jamais privilégié la performance mais la régularité, mon corps me faisant bien comprendre les limites d'un exercice trop poussé. A la fin des années 80, courant sur les routes de campagne en survêtement coton avec walkman à cassette, je passais au mieux pour un échappé de l'asile. En forêt de Rambouillet, j'ai même failli me faire shooter par un chasseur me confondant avec un sanglier. Le coureur assidu devait subir les remarques de mes semblables, aka les jeunes cons, sur cette activité incongrue, la notion de sport se limitant alors au foot et au tennis (mais uniquement pour les rejetons de fratries RPR).

Course en 1989 : activité marginale connotée féminine, alternativement nommée jogging, footing ou truc de pédé. Les rayons de sport pour coureurs n’existaient pas. A l’époque la course, c’était même objectivement une affaire de vioques (de quadras quoi). D’ailleurs, j’ai bien tenté de courir avec eux en groupe le dimanche à l’orée du bois et des années 90 mais non, rien à faire : j’ai vite compris que la course à pied n’était pas propice à la socialisation de fond. Pour bien courir, il faut courir seul. Le partenaire de course possédant exactement la même cadence que toi et ne te cassant pas alternativement les couilles et ton souffle est une légende urbaine. 

Bref, courir à deux je trouve ça déjà très con alors imagine ce que je ressens quand tu me barres la route avec tes orgies collectives de run in à 30.000, extensions urbaines ultimes de cette passion pour la course à pied qui possède subitement la France.

Tes run in (parce que c'est #old le jogging de fillettes), tes parades à courir du dimanche donc (sponsorisés par une marque ou pour une grande cause prétexte à sponsorisation par une marque) où te lèves encore plus tôt que le reste de ta semaine salarieé pour friser l'infarctus en groupe avec 500 euros de matos sur toi, ta boisson au jus de bison stéroïdé à 800 calories, ton appli connectée live à Facebook  et une canne-à-selfie en steadycam si tu pouvais, me filent de sévères crampes musculaires. Déjà que j'avais un peu honte de "partager cette passion" avec Sarkozy, là tu me fous la dose. Je t’en veux car, avec ta mode à la con, là où je pouvais m’équiper pour que dalle il y a encore cinq ans, tu façonnes une bonne grosse tendance consumériste qui salope tout comme avant elle le diesel propre, les jardins paysagers et les tatouages dégueulasses où, au nom de ton individualité, ta névrose se mêle allègrement en mode générique à celles des autres à grands coups de CB dans des  messes à suer bien formatées. Tout le monde court : les enfants (hérésie pour les articulations), les jeunes (qui le mettent même sur leur CV ayant intégrés qu'un manque d'activité physique était professionnellement préjudiciable), mes anciens potes qui criaient à la tantouze et s'étalent désormais  en leg-in moule bite sur leur wall dès qu'ils font trois foulées au square, les chasseurs de la foret de Rambouillet et même les seniors qui, avec la marche nordique cette autre facette de cette danse de Saint Guy nationale, ont même trouvé le moyen de faire de leur rando sous acide une activité stressante pour tous les autres piétons, piétons qui eux-mêmes grâce à l'appli santé du dernier Iphone culpabilisent de ne pas avoir assez fait de pas dans la journée.
Sacré runner, on te fait des rayons dédiés maintenant, on analyse ta foulée, ton rythme cardiaque, la moindre paire de pompes de course un peu potable se vend désormais au prix d’une semaine de SMIC alors que le footing était probablement le sport le plus accessible au monde jusqu’à ta disgracieuse invasion. On fait de toi une star de l'effort et tu ne te caches pas pour transpirer sur les réseaux sociaux parce que la performance  c'vachement important en vue du marathon de New-York t'voua (oui oui toi, toi qui prend l'escalator depuis la naissance dès qu'il faut monter un étage ou en descendre deux, et va chercher tes donuts au drive en Volkswagen). Là où on devrait me payer cher pour faire partie de ces pitreries publicitaires, toi tu raques conquis pour fièrement porter un tee-shirt hideux et identique à celui de tes voisins de course, ou encore mieux, te faire cracher de la peinture à la face sur la ligne d'arrivée.

Bougez, éliminez disait la publicité. En bon fils du libéralisme, tu fais de cette expérience, à priori solitaire et intime, un spectacle benchmarké et sans profondeur, un truc pétaradant où tu mets tout le monde, et surtout tes amis, en compétition. Tes run in ne sont qu'une extension du masochisme contemporain. Il faut faire de toi quel que soit ton âge un être en agitation constante ne s’arrêtant sur rien, un esclave consentant de l'hyper activité perpétuelle (j’ai même entendu parler de visites touristiques et culturelles en mode running, l’heure est proche où tu auras une retenue sur salaire si tu ne viens pas au boulot en course d'obstacles). Si c'est la seule réponse collective que tu es capable d'aligner face à l'individualisme ambiant, fais gaffe : tu vas encore prendre un platane. 

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