30 octobre 2013

Détruire la virilité (au jardin d'enfants)


Cet après-midi là, j'accompagne ma fille de quatre ans au jardin d’enfants. Vu le temps de plomb, ils ne sont que deux : la petite et un gamin du même âge, appelons-le Marc-Antoine. Le garçon est accompagné par une grand-mère chic et échappée des beaux quartiers, et ce qui semble être le père du gamin : un quadragénaire sentant bon le cadre sup. dont l'insistance à ne rien comprendre au concept, pourtant pas bien complexe, du tourniquet m'incite à conclure qu'il doit être responsable financier ou un truc dans le genre.

Le petit Marc-Antoine crapahute sur la cage à poules, enchantant sa Mamy qui capture sous toutes les coutures au Galaxy S à l'étui YSL, les exploits de son héros maladroit.

MAMY NEUILLY 
"On va envoyer les photos à ta maman qui est au travail…"

Armé d’un grand bâton de bois mort, ramassé au bordure de square, voilà que Marc-Antoine entame la parade du mousquetaire avec ma fille dans le viseur. Il lui court après en manquant de l’éborgner sous le regard éteint de son père et les extases de sa grand-mère. Je vois le mal partout, mais je ne peux m'empêcher de noter le caractère phallique de l’instant, qui plus est relevé par les propos du garçon. Je cite :

MARC-ANTOINE
"T’as vu mon grand bâton ! J’ai plus le grand bâton donc je suis plus grand que toi !"

Point discutable : ma fifille à son papa étant plus grande que ce petit con. Stoïque, je m’assois sur le banc gardant un œil agacé sur le manège du Dirk Diggler du bac à sable ostensiblement snobé par ma gamine. Elle lui préfère l’ascension d’une cabane à toboggan au sommet de laquelle elle observera, vaguement blasée, ce marquage de territoire.

MAMY NEUILLY
"Lâche un peu ton bâton Marc-Antoine, tu risques de lui faire mal à la petite fille."

C’est vrai, bourgeois ou pas, il serait dommage d’entrer dans des procédures judiciaires et des frais de santé à débourser à cause d'un bout de bois brandit dans un square public. Marc-Antoine consent à baisser la garde.

Bientôt, le garçon ramasse dans une flaque un bonnet dégoulinant abandonné là. L’éponge informe suscite l’intérêt des deux enfants. Mais, devant la crasse du truc tricoté, Marc-Antoine le lance à ma fille en ajoutant un : "Tiens, nettoie-le !". Bon Ok, je range dans ma poche cette baffe qui me démange : Marc-Antoine est avant tout le fruit de son environnement. Cette thèse se trouve validée par la réplique de sa grand-mère :

MAMY NEUILLY
"Oh Marc-Antoine ! Elle me regarde avec un soupir amusé visant à créer une complicité malgré nos différences sociales sur la base idéologique supposée aussi évidente que commune : Comme quoi c’est bien dans les gênes !"

Mamy fourrure sous-entend donc que, tandis que les mini-hommes font la danse du chibre en sortant connerie sur connerie, les femelles, pas dupes, ont déjà intériorisé à quatre ans qu’elles sont là pour gérer le linge sale du super héros. Le sexisme est ici intégré et revendiqué, comme un ordre naturel, par une femme ayant sur tous les protagonistes de cette histoire l’expérience des années.

Cette anecdote m'est revenue en mémoire grâce à cet article de Crêpe Georgette (auquel je vole une partie du titre). Je vous le conseille de lire. C'est court, provocant, mais des points sont justes dans la connotation positive de la virilité, sa sémantique, et ce l'on y rattache culturellement (quelque soit les classes sociales) : implicitement la supériorité de l'homme sur la femme pour aboutir à cette bizarrerie (ne reposant sur rien de scientifique) assimilant "courage" et virilité (Ça va du fameux "pas de couilles" à "fais pas ta gonzesse").

Inversement, on renvoie au champ de la faiblesse, de la médiocrité et de la sous-performance, tout ce qui est défini (par les hommes, la ruse est là) pour être le rôle des femmes (en gros : tâches ménagères) ou ce qui est considéré comme leur nature exclusive (forte sensibilité, expression des sentiments, s'occuper des enfants...). Inversement, les travers du mec (violence, roulage des mécaniques, lourdeur de la drague et plus si pas affinités...) sont ainsi magnifiés par défaut.

Marc-Antoine est surement un bon gamin qui a déjà eu douze cours d’initiation scolaire sur l'importance de fermer le robinet d’eau quand il se brosse les dents. Pourtant, dans son environnement immédiat, on lui dit déjà à quatre ans que les tâches se repartissent selon le sexe, des années avant qu'on lui parle de sexualité (si on en lui en parle). Il fait déjà le tri entre ce qu’il est "normal" de faire avec son bâton, ou avec un bonnet sale, suivant que l’on ait un zizi ou non. (Il remplacera "zizi" par "couilles" d'ici quelques années, deviendra père à son tour, perpétuera le cycle et sera probablement effrayé par l'intolérable montée de la "domination féminine").

On peut on doit parler de la sous-représentation des femmes (je veux dire hors sphère commerciale), un manque de parité dans les institutions ou des plafonds de verre de la progression salariale, mais le cœur du sexisme commence dès les premières années. Ce sont elles qui conditionnent les représentations, l’image de soi, son degré de confiance pour faire entendre sa voix et s'imposer.

Illustration : Jeux interdits, René Clément (1952)

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12 comments:

corOllule a dit…

Certes. Mais l'égalité passe par *l'abolition du genre*. Certainement pas en détruisant une domination pour en installer une autre, comme le préconise Georgette.

Avec ce type de féminisme qui ne se conçoit qu'au féminin et qui confond masculinité et virilité, on est mâle barré.

Unknown a dit…

en parlant de ça, je me suis toujours posée une question sans doute débile mais bon : quand ta fille sera plus vielle et choisira un homme pour faire sa vie, il y a 95 % de chance qu'elle tombe amoureuse de Marc-Antoine macho et viril plutôt que de pierrot gentil et serviable. Si tu veux que ton gamin ait du succés avec les filles il vaut mieux l'éduquer à être "viril". Alors l'éducation cause ou conséquence ?

solveig a dit…

Voilà qui est sainement pensé et clairement dit.

Anonyme a dit…

Excellent article, merci beaucoup. Je pense qu'on ne changera rien sans nous en prendre aux comportements silencieux, sourds, dans ces premières années d'enfance.

Je promène mes deux petites filles dans les jardins d'Amérique centrale et range aussi mes baffes dans mes poches. "Mon fils est vraiment un ouragan, rien à voir avec sa soeur, les garçons c'est quand même autre chose" me disait un collègue père au foyer hier à la piscine en soupirant faussement à l'évocation de ses efforts pour "supporter" son aspirant-macho.

Bravo et merci.

Stéphane Grangier a dit…

Excellent billet !

ZapPow a dit…

Crêpe Georgette veut instaurer une nouvelle domination ? M'en suis jamais aperçu. Je dois manquer de subtilité.

cdg a dit…

Seb tu oublie quand meme le role de la testoterone (hormone masculine secretee par ... les couilles) quand tu ecris que rien n est prouvé scientifiquement.
Dans nos civilisations mecanisées avoir de gros biceps n est plus tres important mais ca a ete pendant une eternité une autre histoire (sans remonter jusqu a la prehistoire, considere la vie au moyen age)
Sinon croire qu un gamin de 4 ans voit dans un baton un symbole phallique est du meme niveau que les fous furieux aux USA qui ont arrete un gamin de 4-5 ans pour agression sexuelle car il s etait déshabillé devant une fille

Anonyme a dit…

Tout n'est pas perdu : Marc-Antoine est dans sa période de différenciation sexuée. Bon si, il est mal barré si les adultes qui l'éduquent le laissent jeter des bonnets sales aux petites filles.
http://www.aussi.ch/reponses/construction-identite-sexuee
je cite :

À partir de 3 ou 4 ans, l’enfant introduit dans cette reconnaissance un lien de temporalité: quelle que soit la catégorie d’âge, il comprend qu’il y a d’un côté les garçons et les hommes, et de l’autre les filles et les femmes. Un garçon deviendra un «papa», une fille deviendra une «maman». Pour autant, il ne démord pas de cette idée que seuls les indices extérieurs permettent de déterminer le sexe d’une personne. Un enfant pense donc que l’on peut passer sans problème d’un sexe à l’autre, notamment en se coupant les cheveux ou en changeant de vêtements. Le sexe, pour lui, n’est pas un élément constant.

Rigidité face aux codes sexués
Article du nouvel Observateur
À cet âge-là, il est donc très important pour l’enfant de ne pas faire des choses qu’il étiquette comme faisant partie du sexe opposé, car il penserait alors que son sexe serait modifié. Si un petit garçon a des cheveux bouclés qui lui tombent sur les épaules, il est tout à fait naturel qu’il réclame d’aller chez le coiffeur, pour bien montrer qu’il n’est pas une fille.

Seb Musset a dit…

@commentatrice14 > Intéressant.
Vous l'aurez noté, l'anecdote vaut surtout pour le comportement de la grand-mère (et j'ai un stock d'histoires similaires). A vrai dire, ce sont les comportements des adultes par rapport aux comportements des enfants qui sont révélateurs (et donc mon comportement aussi). A vrai dire, je ne me suis jamais vraiment intéressé à ces questions, mais voir l'horreur dans le regard des parents lorsque qu'une fille a une activité étiquetée pour "garçon" (et c'est encore pire dans l'autre sens, genre le garçon qui veut faire de la danse - un classique - ou qui joue à la poupée) c'est assez fascinant.

Seb Musset a dit…

je poste ici le commentaire de Pierre-Marie envoyé par le formulaire de contact :

"Le bac à sable est un monde en réduction, avec le même ratio de gens cons et de gens sympas. Hier, j’étais avec ma bande de petits-enfants dans un parc où nous n’avions jamais mis les pieds :

- Les deux grands (huit ans et six ans) jouaient à faire des gâteaux avec de la terre et des brindilles. Arrive un bébé au pas hésitant qui se joint à leur jeu, sans l’ombre d’un problème. Arrive illico la grand-mère, qui le ramène à sa poussette : on sait jamais, avec des inconnus...

- Mais le numéro trois, cinq ans, s’est fait en un éclair un pote du même âge, et l’affaire s’est terminée en fausse bastion avec les grands, et promesse de se revoir le lendemain.

- Pendant que leur sœur, trois ans, s’introduisait sans façons dans un couple papa-bébé occupé à construire un château de sable.

Et s’il y avait plus de sympas que de cons ?"

Unknown a dit…

Je pensais que les féministes en faisaient trop, et qu'aujourd'hui, la femme avait toutes les chances de pouvoir s'exprimer, choisir sa voie, être indépendante. Je pensais qu'en 2013, il était naturel de voir les femmes égales aux hommes, surtout pour ma génération (j'ai 21 ans). Mais il y a quelques semaines, le débat sur le statut de la femme a fortement animé notre soirée. Je suis tombée des nues de voir à quel point en 2013, il pouvait y avoir des pensées aussi rétrograde...

Je ne sais pas si Marc-Antoine en grandissant sera plus sexiste à cause de son milieu bourgeois, ou s'il passera au dessus. Mais j'espère que les choses changeront, après tout les mentalités ont bien changé depuis un demi-siècle...

http://lesgnousduchapelier.blogspot.fr/

Irina a dit…

Completement d'accord avec Roxane, que les féministes en faisaient trop, et qu'aujourd'hui, la femme avait toutes les chances de pouvoir s'exprimer, choisir sa voie, être indépendante!

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