3 avril 2013

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Cahuzac ou le symptôme du laxisme fiscal


Les politiques sont tous pourris ? Non, en revanche il y a quelque chose de pourri chez tous les fraudeurs fiscaux. La nuance est de taille. 

Après avoir menti avec conviction à l'assemblée et avoir menacé sur Twitter ceux relayant les "fausses informations" de Mediapart, Jerôme Cahuzac, ministre du Budget il y a encore trois semaines, avoue enfin avoir fraudé le fisc français. Je n'appréciais pas spécialement Cahuzac, mais j'espérais pour le pays qu'il soit innocent. Ça ne pouvait pas plus mal tomber, ça éclabousse l'ensemble d'une classe politique déjà bien peu aimée. D'autant que ce n'est peut-être que le début d'un nouveau feuilleton sur l'origine des 600.000 euros helvètes.

Mais Positivons. Le pataquès Cahuzac a au moins deux avantages:

1 / A la rentrée prochaine Jean-Michel Aphatie sera, peut-être (enfin ça se passerait comme ça  dans un pays médiatiquement sain), envoyé à la présentation du télé-achat nocturne sur TV8 Mont-Blanc et ne plus palper un salaire à cinq chiffres pour cracher sur les journalistes qui font leur boulot, le tout sous les applaudissements.

2 / C'est l'opportunité idéale pour reparler de ce sport national du bourgeois qu'est la fraude fiscale et d'enfin y remédier.

Le Sénat estime le montant de cette fraude à 30 milliards d'euros, les experts Bruxelles eux penchent pour 45 milliards. Le syndicat Solidaires-Finances publiques situe l'ardoise plutôt entre 60 et 80. En gros, la fraude fiscale représente un manque à gagner de 20%, 6X le déficit de la sécurité sociale, de quoi financer les ministères de l'Education, des Finances et de la Justice.

Pour sortir de l'argent, encore faut-il en avoir. Les pauvres régulièrement pointés du doigt comme de grands fraudeurs sous la majorité précédente, ne représentent que la goutte d'eau au sommet de l'iceberg de la fraude, à 90% fiscale, comme le rappelait récemment ATD-Quart Monde.


La majorité des salariés n'ont pas non plus les possibilités d'optimisation fiscale (mais ce n'est pas toujours l'envie qui en manque) d'un grand patron, d'un chirurgien esthétique réputé ou les possibilités de délocalisation d'un acteur surpayé. Non.

Eux sont doublement lésés :
1 / Cet argent n'ira pas au financement de services publics ou au remboursement de cette dette avec laquelle on leur martèle la tête. 
2 / Ils devront payer en sus de leur part, celle détournée par nos courageux fraudeurs.

Puisque la priorité de François Hollande est de rétablir les comptes et s'il veut sauver l'honneur d'un gouvernement fort mal barré, qu'il entame sur le champ une vraie lutte contre la fraude fiscale (et non par le petit milliard de gains prévu par ce gouvernement ne se gènant par ailleurs pour demander aux travailleurs de cotiser plus longtemps). Il faut multiplier ce milliard au moins par 5 ou 10. Et pour cela, il faut embaucher des inspecteurs des impôts, multiplier les contrôles fiscaux.

Seulement voilà, et c'est là que ça devient aussi scandaleux qu'un ministre du budget qui ment en bloc et en détail: en 2013, 2 000 postes sont supprimés à la direction générale des finances publiques. Ces coupes dans les effectifs se rajoutent au 13.500 postes supprimés depuis le lancement de la RGPP (avec la fusion des Impôts et du Trésor public) par Nicolas Sarkozy.

En résultent des dossiers bâclés, un personnel moins formé. Peut-être même que la connaissance de l'intérieur de la fragilisation de cette administration de contrôle explique en partie le sentiment d'impunité et la "spirale du mensonge" d'un ministre du Budget.

Il faut à peu près deux ans pour former un inspecteur des impôts pleinement opérationnel et prêt à ramener le pognon. Comme l'inspecteur du travail, il fait également partie de ces fonctionnaires dont on peut très précisément évaluer la rentabilité (voilà qui fera plaisir à Agnès Verdier-Molinié). Ces inspecteurs rapportent infiniment plus qu'ils ne coûtent. Là, on ne serait plus dans le symbole du 75% qui va finir par ne concerner que trois personnes en France, mais bien dans une vraie lutte pour la réduction des déficits par la traque de la fraude avec à la clé de vrais gains.

Ce gouvernement, comme le précédent, n'a pas opté pour un plan d'embauches de ce côté-là. Quelqu'un au Budget a dû estimer sur son tableur Excel que ça coûtait trop cher, qu'il y a avait trop de fonctionnaires, que l'on avait besoin de pognon maintenant et pas dans deux ans, et qu'a être trop méchants avec les fraudeurs on ferait partir nos précieux riches déjà bien assez malheureux comme ça de ne plus quoi savoir faire de leur pognon.

A croire qu'il n'y a qu'eux qui votent dans ce pays.

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13 comments:

Cécile a dit…

Après la réaction de G. Filoche voici un texte qu'il fait bon de lire. Parce que quand on est au fond et qu'on fait partie des pauvres comme moi, on ne peut pas se faire entendre comme on voudrait.

LR34 a dit…

Excellent papier. Espérons qu'il trouvera un écho auprès des oreilles de ceux qui nous gouvenent.

Claribelle a dit…

Pour Cahuzac, dans la mesure où:
- il a longtemps nié l'existence de ce compte
- il a ensuite dit qu'il n'avait pas touché à l'encours de ce compte depuis 10 ans,
je propose un règlement à la chypriote (voire à la sauce hollandaise): 75% de taxe exceptionnelle sur le montant de ce compte et le reste en amende (fraude) ou arriérés d'impôt (ISF).
Résultat:
- le compte n'existera plus
- il continuera à ne pas toucher aux encours de celui-ci
- il pourra redire, les yeux dans les yeux, qu'il n'a pas de compte à l'étranger et qu'il est en règle avec le fisc.

Toutatis a dit…

J'ai de sérieux doutes sur les 600K. Les comptes en Suisse ne concernent pas des montants aussi faibles. Mais la justice va surement éplucher tout ça.

t0pol a dit…

Ayant fait 40 billets sur la fraude comme toi je ne peux qu'applaudir.
Les gens doivent savoir qu'en 10 ans l'UMP a salopé non seulement l'inspection des impôts, mais aussi le pole financier du TIG de Paris... ce que dénonçait entre autre le juge Gentil en juin 2012. Et qui énerve les UMP et le FN.





damien.carol a dit…

Faut nuancer un peu. L'administration fiscale est de plus en plus efficace chaque années, faut le savoir. Les pauvre doivent avoir les oreilles qui sifflent en ce moment.
Ensuite je reste globalement d'accord avec toi Seb, plutôt que de racler les fonds de tiroir des allocs, autant faire payer ce qui trichent et bousille le système.

Seb Musset a dit…

@damien > Ouaip. Coupe dans les effectifs. Pas bon signe.

@Claribelle > Pas bête ;)

@Toutatis > Oui, comme le demande Mediapart. 1 / D'ou vient ce pognon ? 2 / Quel role a joué Moscovici dans l'intox sur la clarification suisse ? ENcore des zones d'ombre.

Toutatis a dit…

Bien plus grave à mon avis que la baisse des effectifs de Bercy, d'ailleurs justifiée par l'informatique et les comparaisons avec d'autres pays, c'est la baisse des effectifs des inspecteurs du travail et de la protection du consommateur (DGCCRF).

cdg a dit…

La fraude fiscale, c est pas seulement un cahuzac qui cache son magot en Suisse, c est aussi le maçon qui va faire un mur au noir le WE. Il est donc pas completement exact de dire que seuls les riches fraudent, meme si ceux ci fraudent sur des montants bien plus importants.
Pour le ministere des finance, on peut tres bien avoir une baisse des effectifs et une hausse du nombre de controleurs et une meilleur efficacites de ceux ci. Grace a l informatique, on doit pouvoir supprimer certaines taches basiques et faire comme en italie (ils ont un systeme informatique qui en fonction de certains parametres comme votre lieu de résidence et de travail estime vos revenus. si vous etes 20 % en dessous de l estimation -> controle fiscal)

kalondour a dit…

Rien à rajouter...Très bonne analyse...Ça m' a fait mal au cœur de voir Gérard Filoche se sentir trahi de la sorte, lui qui a été un fonctionnaire exemplaire "au service du public" et qui se bat toujours sur des vraies valeurs de gauche dans son activité syndicale et politique.
En tant que fonctionnaire du fisc à la retraite, mais toujours syndicaliste, je peux témoigner des dégâts de la RGPP au Ministère des Finances...Dégâts humains, mais aussi une catastrophe pour les rentrées fiscales...Il n'y a pas besoin d'augmenter les impôts, il suffit de mettre les moyens en place pour faire rentrer "normalement" l'impôt, ce qui n'est déjà plus le cas actuellement, et pour combattre ce cancer de notre société que représente la fraude fiscale.
Malheureusement, l'affaire CAHUZAC ne représente qu'une partie infime de la grosse machinerie de cette fraude fiscale, que je qualifie personnellement de système mafieux.

Philippe a dit…

Les élites politiques sont conseillées par des banquiers, assureurs ou PDG de grosses boites qui tous utilisent des techniques de défiscalisation. Peut on à la fois être conseillé par E.Macron, De Castries, Pigasse, Pébereau... et lutter contre l'évasion fiscale ? Cahuzac avait un compte en Suisse, comme les banques, assurances et groupes du cac 40 ont des dizaines filiales bidons off shore pour "optimiser". Ce qui choque, c'est que ce soit un ministre qui se serve des paradis fiscaux alors que ce sont simplement d'habitude 80% de ses conseillers. Peut on attendre des promoteurs de l'économie financiarisée déréglementée et mondialisée de lutter contre l'évasion fiscale qui est simplement la conséquence logique de cette structure, si elle n'en est pas l'un des objectifs ? Les gouvernements successifs depuis 30 ans ont mis en place délibérément ce système ou ont au moins consenti passivement à sa genèse.
Il ne faut donc pas dire tous pourris mais tous ont été d'accord pour que des paradis fiscaux comme Chypre, le Luxembourg, l'Irlande soient par exemple dans la zone euro.
Il ne faut pas dire tous pourris mais admettre une certaine indifférence face au vol fiscal de la nation généralisé (sauf en cas de médiatisation passagère où il est bon ton de jouer la vierge effarouchée).
Il ne faut pas dire tous pourris, mais s'étonner que des états comme la France accepte de se faire voler fiscalement par les iles Caimans, Jersey ou le Lichtenstein. Un ours ne se laisse normalement pas voler par une souris.
Il ne faut pas dire tous pourris mais observer une indifférence générale avec les révélations sur Clearstream de Denis Robert et son harcèlement judiciaire .
Il ne faut pas dire tous pourris mais remarquer que le blocage de la liste des fraudeurs du fisc d'UBS n'a pas choqué grand monde.
Il ne faut pas dire tous pourris mais noter le consensus pour installer des caméras de surveillance partout pour protéger les citoyens des vols de smartphone et le même consensus pour conserver le secret bancaire et l'opacité financière généralisée qui favorise les fraudes et mafias financières en tous genres.
Les paradis fiscaux servent le vol fiscal, le blanchiment d'argent de la drogue, des trafics d'armes et de la corruption. Comment expliquer qu'ils soient tolérés par les dirigeants internationaux alors qu'ils n'ont que des effets délétères sur les sociétés ?

Merci pour vos billets qui donnent à penser. Je pense que vous devriez encore reculer d'un pas pour analyser le tableau avec votre talent et pertinence et ne pas être trop naïf sur les intérêts défendus au plus haut niveau. Si la politique du roi est dictée par ses conseillers mieux vaut les observer.Tout comme le démantèlement de la retraite par répartition est logique dès lors que des fonds de retraites par capitalisation conseillent les élites. De même pour la sécu et mutuelles privées.
Les politiques fiscales et économiques n'ont depuis quelques années qu'un objectif : garantir la maximisation du retour sur capitaux investis. En ce sens les paradis fiscaux sont une aubaines. Donc une politique merveilleuse pour les conseillers et donateurs principaux de nos partis "démocratiques".

Fred Camino a dit…

L'affaire Cahuzac est un mal pour un bien, le gouvernement va pouvoir se lancer dans une vraie lutte contre la fraude fiscale, enfin j'espère.

bertrandv a dit…

Pour cdv rearder le graphique ATD -quart monde tout est dit

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