30 novembre 2012

Apocalypsimmo 18: La contre-politique du logement de David Pujadas

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Certains mots dans le débat gouvernemental provoquent mécaniquement des tirs de barrage médiatiques. 

"Nationalisation" en est un. Dans nos JT, il est souvent précédé d'un "la menace de" comme l'alerte terroriste ou sanitaire. 

"Réquisition" en est un autre.

La ministre du Logement, Cécile Duflot, annonçait hier la réquisition de logements vacants avant la fin de l'année. La mesure s'appliquera à trois territoires (les zones les plus tendues) et ne concernera que des bâtiments appartenant à des personnes morales. Il faudra vérifier l'application concrète, mais c'est déjà un signe fort à même de chahuter les certitudes foncières de quelques-uns.


Signe qui n'a pas échappé au journal télévisé de France 2 passant pour l'occasion en Def Con 1,  mode : touche pas à ma propriété.

Jeudi à 20h. Pour illustrer l'annonce ministérielle, David Pujadas et sa rédaction proposent un sujet sur "l'enfer des propriétaires" (sic) vivant sous le joug des locataires indélicats (16.50 sur ce lien). Dans un pays qui compte 800.000 très mal logés, 200.000 personnes à la rue, 10 millions touchés par le mal-logement, où plus d'un tiers des 18-30 ans désignent le logement comme l'élément le plus prioritaire dans leur situation personnelle (avant de manger ou trouver un travail), où tu ne peux dégoter un 20m2 à la location sans afficher 6000 euros de salaire, un CDI sur trois générations avec l'ambassadeur du Qatar pour se porter caution: voila un drame de société de la plus haute représentativité. 

(Rentabilité à moins de 2 chiffres, confusion dans les trousseaux de clefs, avoir des gueux sur ses terres ? Les drames cachés de cette face méconnue du mal-logement qu'est la multipropriété)

Introducing Laurent, jeune propriétaire qui vient d'acheter "un appartement de 100m2 dans une résidence cossue" de Paris et qui donc, conformément à une enquête récente d'un courtier attestant que les primoaccédants ont quasiment disparu des agences immobilières et que les transactions ne se font plus qu'entre possédants, a vendu son précédent appartement pour acheter le nouveau. Problème: il l'a acheté avec des locataires dedans (un couple et deux enfants). Ces derniers payent leur loyer, mais n'ont pas trouvé un autre toit et ne partiront pas tout de suite. Pire, ils sont protégés par la trêve hivernale. Laurent, lui, doit rendre les clés de son précédent appart, là maintenant. 

(Spirit of Augustin Legrand by Nexity)

Proprio et (risque d'être) SDF: Monde de merde, ma brave dame! Bon, Laurent empoche un loyer et, vu qu'il a fait sa transaction dans une ville qui prend du +10% par an, il a dû faire une petite PV pas trop pourrie. Donc, je community-manage mes larmes en mode "Hey ho mollo Calimero !". Mais la rédac' à Pujadas en a décidé autrement (solidarité entre proprios peut-être ?). La séquence émotion démarre sur les chapeaux de roue. 

LAURENT LE PROPRIO
- Je suis à la rue avec mes trois filles et ma femme.

Notons que Laurent dispose de quelques aptitudes en marketing: impression de tracts distribués dans le quartier, relooking façon enfant de Don Quichotte et grève de la faim sous la tente Quechua devant le bel immeuble à palmiers, délation auprès des voisins sur le train de vie supposé du locataire "vous vous rendez compte, il roule en A6" et reprise dans de nombreux médias (Le Figaro, Metro, France Infos, France 3, M6) jusqu'au JT de France 2

Le JT nous lâche au passage son infographie sur ces fourbes locataires qui connaissent sur le bout des doigts une loi complice de leurs forfaits. 

(Conformément à la loi sur la présomption d’innocence, le locataire apparaît sans menottes)

Sur que les propriétaires, eux, ne connaissent rien aux subtilités des 312.000 niches disponibles pour défiscaliser, tout en spéculant, dans l'immobilier et ainsi tripler leurs revenus pépères sur le dos des locataires (qui sont probablement aussi ces travailleurs pas assez compétitifs et payés trop chers des autres sujets du JT) en leur refourguant taudis ou placard à chaussures à des tarifs monégasques

Comme le cas de Laurent à quand même un arrière-gout de nappage chantilly-fraise au grand buffet de l'"enfer", le journaliste sort de sa poche le joker de la vraie galère: une autre propriétaire vivant "un cauchemar" à cause de son locataire. 

Changement de décor. Il s'agit ici d'un studio "cassé" par un salopiaud qui n'a pas payé son loyer durant deux ans. 

(Commentaire du JT : "Un cauchemar pour la propriétaire démunie
présenté en situation avec son avocat à 200 euros de l'heure)

Pas la même surface, pas les mêmes clients, pas la même finalité (l'appartement de Laurent est une résidence principale, le studio de madame est une rente): le seul point commun du reportage est la jérémiade de deux propriétaires torturés par leurs locataires, ces riches assistés sans gêne au train de vie indécent (qui pour certains vont jusqu'à vivre la vie de château dans des 8m2 voire plus). 

Ce sujet, totalement hors sujet rapporté à la nouvelle qu'il est censé illustrer (la réquisition) est  diffusé le lendemain d'un autre reportage "logement" (19.00 sur ce lien) dans le JT de France 2. Oui, la veille David Pujadas proposait de passer le blocage des loyers de Cécile Duflot "au banc d'essai". Un reportage affirmant que "les propriétaires n'ont pas attendu le blocage pour inverser la tendance"  (Information démentie par l'observatoire des loyers Clameur : +2.4 % pour les loyers depuis le début de l'année, plus que l'inflation). En conclusion, France 2 y recueillait à nouveau le témoignage d'une bâilleuse parisienne. Rageant de ne pas pouvoir augmenter le loyer (1500 euros pour 80m2 soit "30% en dessous des prix pratiqués"), l'indignée va vendre son appartement.

(Le blocage des loyers. Contreproductif ou sans effet ? Bah, dans le doute, les deux.)

Deux sujets logement sérieusement orientés pro-rente et pro-capital à 24 heures d'intervalle: un déformant la réalité, l'autre surexposant des exceptions alors que l'on compte infiniment plus de mal-logés que de propriétaires abusés: n'y aurait-il pas ici comme dans l'idée de saboter les annonces et les mesures du ministre du Logement ?

Certes, mal-logement et JT s'articulent souvent sur le même paradigme: pleurer sur les situations des démunis (le spectacle des autres) et, lorsqu'un semblant de début de solution radicale est envisagé pour le plus grand nombre, en exposer immédiatement la dangerosité (pour les intérêts du public cible). Il en revanche regrettable qu'on pratique de même sur le service public à la rubrique "information".

Rassurons-nous. La météo sera bientôt suffisamment rude pour que Pujadas lance ses journalistes à la poursuite des marronniers de fin d'année sur les premiers "morts de la rue" (et pas du manque de logement, tu saisis la nuance ?) dans des enquêtes de terrain au bord du périphérique auprès de types de 30 ans qui paraissent 60, sans toit en semi-coma, à qui ils demanderont, déculpabilisés par le sentiment d'accomplir un devoir d'information:

"- Alors vous avez froid ?" 

Articles connexes : 
- Pauvre petit propriétaire
- Eric Zemmour et la menace HLMiste
- SOS Proprios en détresse
- Capital, comment faire passer un désordre immobilier pour un "bon plan" logement ?

28 novembre 2012

Pierre Moscovici et les blogueurs : Ceci n'est pas de l'austérité

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18h50. Alors que j'enfile mes pièces jaunes dans cette machine qui a remplacé un emploi de guichetier la station de métro Bercy, la dame d'une soixantaine d'années, bien habillée et maquillée, me demande de la monnaie:
 
LA DAME
" - Regardez, il vous reste 50 centimes. C'est la moitié du prix d'une baguette. Avec ça, je mange ce soir."

MOI
" - Je sais"

Voilà dans quelle disposition mentale, je me rends à la "rencontre numérique" entre le ministre de l'Economie et des Finances et les blogueurs se tenant quelques mètres au-dessus. Ayant déjà rencontré Pierre Moscovici deux ans plus tôt, je sais à quoi m'attendre, même en petit comité 2.0, et ne table pas sur un autre discours que celui tenu sur les ondes[1]. 


Face aux dix twittos et blogueurs[2], le ministre nous confie qu'il entame "une bataille de communication" où il s'agira de faire "plus de pédagogie" sur son action et les chantiers en cours, notamment celui de la Banque Publique d'Investissement qu'il veut opérationnelle pour janvier 2013. Devant notre retard à l'allumage, il se lance dans un préambule synthétisant son premier semestre au ministère autour des trois axes de sa "cohérence stratégique": la réduction de la dette ("afin de donner une marge de manœuvre à la France", l'Europe et la compétitivité. 

...et vise les 0.8% de croissance pour 2013 et l'inversion de la courbe du chômage avant fin 2013 et de la dette en 2014.

Bref, ça va pas être trop la peine de la chauffer sur le protectionnisme, le partage du travail ou le carcan de l'euro. On peut juste tenter de le chercher un peu, en le poussant à se justifier sur les questions qui nous fâchent. Tout le monde a d'ailleurs un peu les mêmes:

Retour sur trois thématiques abordées.

1 / La bonne fin de l'utilisation du crédit d’impôt aux entreprises.
Au regard des aides fiscales dont elles bénéficient depuis 30 ans sans effet sur l'emploi, avec le package à 30 milliards (en partie financé par une hausse de la TVA) les entreprises vont-elles vraiment se mettre à investir et embaucher en France ? On peut en douter vu le peu de garanties demandées. 

Serein, Le Ministre ne cache pas la dimension de "pari" de la mesure. "Il y a patrons et patrons" [...] le patron d'une PME n'est pas quelqu'un qui adore se délester de l'emploi". S'il est avéré qu'une entreprise se rend coupable d'évasion fiscale, elle ne pourra pas bénéficier du crédit d'impôt, ajoute-t-il. Il annonce la mise en place d'un "vaste plan de lutte contre la fraude fiscale" avec l'objectif de... récupérer un milliard (Une goutte d'eau comparée aux dizaines de milliards qui échappent au fisc chaque année, dans un contexte où les stratégies d'optimisation fiscale des grandes entreprises sont peu évoquées pour expliquer les écarts de compétitivité entre pays[3]). P.Moscovici veut également réformer l’impôt sur les sociétés (alignement des PME et des grosses sociétés) avant la fin du quinquennat.


2 / Le pataquès des #geonpi.
Comment et pourquoi avoir cédé à 30.000 likes Facebook manipulés par des exilés fiscaux ? Et de la pertinence d'avantager fiscalement les cessions d'entreprises ?

"- Moi je ne suis pas droit dans mes bottes" lance-t-il en faisant référence à Alain Juppé. Selon le ministre, le projet était "mal calibré" dès le départ. Bizarrement, il lui aura fallu une mobilisation virtuelle, et surtout une reprise dans la presse économique étrangère pour qu'en cinq jours, il tire ce constat. Sur le symbole envoyé, il répond que "devenir riche n'est pas une chose négative", mais insiste sur la redistribution que cette richesse implique (ce qui parait contradictoire avec le fond de cette histoire). 


3 / Est-ce encore de la gauche ? 
Hausse de la TVA, gel du barème de l'IR, un coup de pouce minimal au SMIC, compétitivité envisagée par le seul "coût du travail"... Ce n'était pas le changement de cap économique que l'on espérait.

Questionné sur ses valeurs d'"homme de gauche", Moscovici nous livre son diagnostic sur la victoire de mai dernier : François Hollande ne la doit qu'à la médiocrité du bilan de Sarkozy.

" - C'est parce que c'est difficile que nous sommes là [...] La France est un pays attaché à la gauche, mais pas un pays de gauche.

Nous touchons l'algorithme de base d'une grille de lecture gouvernementale justifiant les choix économiques du moment: l'application d'une politique favorable aux entreprises teintée d'une dimension de justice sociale pour contrebalancer

D'autres questions sont abordées [liens en fin de billet]: la loi bancaire qui prend du retard et se fera en version minimale, la situation grecque (et les récentes avancés obtenues par la France :réduction des taux des banques, rétrocessions des profits bancaires sur les titres grecs...) ou la crise à l'UMP (dont il ne se réjouit pas dans la perspective de 2017 : "On sera jugé sur nos résultats, pas sur leurs déboires"). A un moment le mot "décroissance" est prononcé par une blogueuse intrépide. On sent comme un flottement. Flottement prolongé lorsque lui est posé un "Vous croyez que la Grèce va finir par rembourser sa dette?" à la réponse évasive.

En conclusion, on ne peut pas lui faire le procès de l'incohérence ou du cynisme. P.Moscovici évolue dans les limites d'un système de réflexion dont à l'évidence il se persuade qu'il est le moins pire vu la situation, un système où il y a aucune place pour le doute ou l'alternative : Sans croissance point de salut, sans réduction de la dette pas de marge de manoeuvre. Il assume son action, la revendique, a intégré les reproches. Non ce n'est pas une politique d'austérité, simplement un effort nécessaire avant de pouvoir redistribuer. Il nous pronostique d'ailleurs un "quinquennat inversé": effort d'abord et récompense après.

Et si la machinerie ne fonctionne pas ? Et si la sempiternelle croissance n'est pas au rendez-vous l'année prochaine ? Nul doute qu'il faudra redoubler les efforts de pédagogie. 

Fin de la réunion. Le quartier de Bercy est désert. Je ne recroise pas la dame du métro. La retraitée a probablement bouclé le plan de financement de sa baguette du soir.

Pierre Moscovici nous a reçus plus d'une heure. 
Merci à lui et à son équipe. Ils ne sont pas assez nombreux à proposer ce genre de rendez-vous.

[1] A peine percevra-t-on quelque acidité dans le velours de son discours à l'évocation des blocages au Sénat du Front de Gauche ou des relations avec Arnaud Montebourg.  
[2] Sont présents: @MllePeg_ @politeeks @sebmusset @PolluxeBlog @LaurentPinsolle @Vogelsong @adsaum @Melclalex @custinda @abadinte @Ema_Dellorto
[3] Plus de la moitié du déficit commercial de la France vis-à-vis de l'Allemagne (10 milliards d'euros) serait due à une manipulation des prix de transferts.

Gloire à Jean-François Copé !

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Je sais. Écrire sur le feuilleton de l’UMP, c’est s’exposer à une obsolescence ultra rapide de son article. Pourtant au 11e jour des #FeuxDeLaDroite, il convient de rendre hommage à un personnage injustement méprisé: je parle de Jean-François Copé.

Je peux l’avouer maintenant: je souhaitais depuis plusieurs semaines, sans trop y croire, qu'il remporte l’élection interne à la présidence à l’UMP[1]. L'homme avait le potentiel et les casseroles pour accomplir de très grandes choses pour l’opposition. Et, vu le calibre de ses soutiens, sa présidence de parti nous garantissait de beaux moments de n'importe quoi. Les conditions foireuses de sa victoire sur le fil du rasoir et ses rocambolesques prolongations, ont dépassé mes espérances 

Depuis Jean-François n'en démord pas. Contre tous, il se cramponne à la tête d'un parti qui se désagrège moralement, et bientôt financièrement, sous les yeux affolés des éditorialistes. Voir un Calvi, un Barbier, un Giesbert ou un Mazerolle sans analyse cohérente, dépassés par le monstre de nullité qu’ils ont eux-mêmes propulsé là à force de dossiers et de couvertures débiles sur l'Islam, rajoute au délice. Même Eric Le Boucher est à deux doigts de prendre sa carte au PS

Car Jean François Copé, c’est avant tout une œuvre: Le dynamitage d’un parti de l’intérieur en moins d’une semaine et l'aptitude à provoquer un craquage du slip généralisé des lieutenants du premier parti d'opposition et devenant la risée générale.

Dernier rebondissement dans cette saga d’une ingéniosité narrative à faire passer un climax de The West wing pour un épisode quelconque de Chloé Magique: la remise en cause matinale par Jean-François de l’accord de paix arraché hier avec les dents par un Nicolas Sarkozy dont il ne manquait que le retour prématuré pour parachever le désastre à droite. 

Et mate la portée transcendantale du deal : Organiser un vote sur internet pour savoir s’il faut faire revoter les militants avec des bulletins papier. Ça c'est du putain d'enjeu au regard de la crise économique à laquelle les Français font face, le jour même de la publication de la hausse du chômage pour le 18e mois consécutif !

Voilà c’est fait. Copé a aussi ridiculisé Sarkozy, l'idole de son camp. Merci man.

Je vois désormais qu'on le lâche, que les plus grands philosophes de droite tel Mickaël Vendetta, ne se cachent plus pour le flinguer. Et là je dis stop ! Moi, blogueur de gauche, apporte mon soutien à Jean-François Copé et souhaite ardemment qu'il s'accroche à la présidence de l’UMP et se présente, dès maintenant tant qu'on y est, à la présidentielle de 2017.

Expédier l'UMP sous la barre des 10% n'est désormais plus un rêve impossible! Tiens bon Jeff!

[1] Le danger serait d'encenser Fillon en comparaison. A la différence de Copé, l'ancien premier ministre cache très bien son jeu. C'est en cela qu'il est bien plus dangereux.

26 novembre 2012

Notre univers impitoyable

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Le comédien Larry Hagman est mort. Avec lui disparaît le légendaire salopard du clan Ewing, héros de la série Dallas qui a marqué les samedi soir de mon enfance. Au début des années 80, avec son sadisme jovial (relevé par chez nous du doublage bonhomme de Dominique Paturel[1]), le Texan à la tête de l'empire pétrolier hérité de son père cadençait d'un libéralisme décomplexé les foyers français ensuqués dans un étatisme suranné.

Tel l’alunissage d’Armstrong pour les anciens, ou deux générations plus tard le premier atterrissage sur Loana, la diffusion le samedi soir de Dallas est mon premier souvenir d'évènement télévisuel national (alors suivi dans la soirée sur TF1 chaîne publique des "Droit  de réponse" de Michel Polac où l’on s’envoyait du cendrier à la gueule en se traitant de fasciste).  Me restent gravées les errances éthyliques de Sue Ellen ou ce cliffhanger de juin, nous laissant tout un été dans l’attente de savoir qui avait tiré sur JR. 

La série commençait sa diffusion aux Etats-Unis sous l’air Carter, son succès préfigurant peut-être le triomphe de Ronald Reagan deux ans plus tard et de Bush père dix ans après. Débarquée en France en 1981, la série accompagnera, comme un sas de décompression pour certains, le premier septennat de Mitterrand. Derrière le soap de luxe et la perversité suave de ses héros, et bien qu’il n’y soit jamais question de politique, Dallas était un puissant spray des idées libéralesDes hommes de pouvoir aux gros derricks gorgés d'or noir (sans trop de traces d'ouvriers) y écrasent leur prochain. L'argent, qui coule à flot, n'est qu'un outil quotidien pour y affirmer sa virilité. Les femmes ne sont bonnes qu'à dépenser, se faire courtiser, se faire tromper, éventuellement se prendre une rouste car elles éduquent mal leur gamin[2]. Et la famille se saoule copieusement le soir venu pour oublier sa bassesse devant la doyenne du clan dépassée par les monstres qu'elle a engendré. 

Dallas nous apparaissait comme un conte de fées avec de gentils niais broyés par de vils personnages assoiffés de supériorité, évoluant dans un luxe qui, du vert pistache des cabriolets Mercedes aux intérieurs kitchs et surchargés de Southfork, prouvait avant tout leur total mauvais gout et une inculture crasse.

Dallas et son récit des fortunes et infortunes familiales n'ont pas survécu aux années 90 et à la financiarisation de l'économie. Qu'aurait fait JR dans les années 2000 ? Il aurait ses journaux, sa chaîne d'information continue, aurait liquidé "Droit de réponse", délocaliserait, aurait financé la guerre en Irak, pleurerait qu'il paye trop d’impôts et se serait présenté aux élections présidentielles. Notre routine quoi. 
  
Dallas ne fait plus rire ni rêver. Le conte est aujourd'hui une réalité quotidienne. Chaque JT est la démonstration au premier degré du cynisme stratosphérique des capitaines du capital. La ligne de direction des affaires du monde est aux JR. Ils ont open-bar à la rubrique "savoir vivre" dans les médias quand ils ne les possèdent pas. Et s'ils n'y sont pas physiquement, ils peuvent compter sur leurs valets de chronique pour les plaindre ou les glorifier.

Et depuis les séries qui fédèrent à la télé parlent de docteurs et de policiers.

[1] Par hasard attablé à côté de Dominique des années après, j'ai eu le déroutant privilège de me faire demander du pâté par JR.

[2] Du moins les premières années. Au milieu des années 80, l'ordre patriarcal y est bouleversé. Les personnages féminins de la série reprennent leur destin en main et se vengent (c'est d'ailleurs une femme qui tire sur JR).

25 novembre 2012

Rire et se taire dans l’arène de la rigueur

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Ce samedi soir, ils sont plus d'une centaine assis autour de la scène centrale. Les regards convergent vers le centre d'intérêt du long spectacle télévisé: des invités en promotion. Parmi eux, le lauréat d'un jeu télévisé qui a gagné le droit d'être connu et l'acteur de la semaine qui joue le réalisateur de l'année, un gourou du bonheur et un humoriste en tournée. Tous tournés sur eux-mêmes pour plus de sécurité,  ils sont chahutés par deux journalistes de l'émission et un Monsieur Loyal sulfatant de la joke plus ou moins efficace mais toujours applaudit. Objectif rire. 

Disposé selon l'allure sur de la tribune tape-cul sous une lumière bleue qui le confond dans un camaïeu sombre aux structures de décor, ce public gratuit et volontaire a été briffé à base de petits jeux et de répétitions par le chauffeur de salle. Taper des mains sera sa seule voix. Le chef d'orchestre des clappements compulsifs supervise ses élèves dans l'angle mort des objectifs. De l’allégresse de cette jeune foule ornementale, dépend en partie l'assiduité de la ménagère irradiée de l'autre côté de l'écran. Elle fait ainsi, par procuration, partie d'une conversation se jouant pourtant en cercle fermé.
Au bout d'une heure de bruit et battements de bras, entre dans l'arène heureuse, Jean-Luc Mélenchon. Au milieu de la promo des galettes en plastiques, des livres ou des films à déguster au supermarché du consensus, le chef du Parti de Gauche vient parler politique. Autrement. Trop peut-être. Quand les deux journalistes, prescripteurs de bons points ou préposés au clash, insistent pour que celui ayant fait scission avec le PS quatre ans plus tôt fasse son mea culpa au sujet de son appartenance au gouvernement Jospin (2000 à 2002), il n’esquive pas. Voilà même que l'hérétique  revendique des avancées sociales réalisées sous ce gouvernement:

JEAN-LUC MELENCHON
" - Nous faisions des grandes choses. Car faire les 35 heures sans perte de salaire, c'est une très grande chose pour le travailleur !"

A l'aune de ce qui se passe aujourd'hui, ces mesures concrètes (réduction du temps de travail ou couverture médicale universelle) décidées par un gouvernement socialiste sont une transgression voire une révolution. Voilà qui devrait soulever l'enthousiasme assis des masses d'abord rieuses qui, il y a quelques minutes encore ovationnaient d'une rage mécanique la dernière histoire de Toto par Monsieur Loyal.


Pas même étonnée, l'agora reste atone. Face à la fière justification de Mélenchon, un ange passe. Un chauffeur de salle peut déclencher l'hystérie, stimuler l'euphorie. Il ne peut créer le silence.

La baisse du temps de travail ferait-elle partie du paysage. Serait-elle considérée comme un progrès sur lequel on ne peut revenir comme, euh, les chaines gratuites de la TNT ? Peut-être qu'au pays du chômage, de l'Interim et de l'explosion des temps partiels, elle n'évoque simplement rien pour ce jeune public ? Si Jean-Luc lui avait esquissé les suppressions de RTT qu'impliquerait un retour en arrière sur la loi, peut-être que les disciplinés auraient fait gronder un début de "oh bah non alors, ça va beaucoup moins bien marcher" ? On peut l'espérer, sans toutefois trop rêver d'un grand soir où l'on ne serait plus couché.

Il a beau jeu Jean-Luc Mélenchon de dénoncer par la suite le prêt-à-penser dispensé du matin au soir avec quelques nuances cosmétiques d'un canal ou d'un canard à l'autre par ces prophètes de l'austérité dont l'effort d'hiver, après nous avoir fait pleurer sur les drames fiscaux des grandes fortunes, est de faire admettre au prolo sans qu'il ne gueule trop qu’il coûte trop cher et qu'il lui faudra baisser son salaire

La parenthèse désenchantée est terminé. Monsieur Loyal reprend son rôle et, d'un bon mot, chacun dans le public, reprend soudain le sien: accompagner et nourrir de ses applaudissements commandés les ricanements du moment, et donner trois heures durant, les assourdissantes preuves de son bonheur d'être distrait.


Articles connexes:

22 novembre 2012

Le burn-out d'Olivier Mazerolle

par
Priorité au direct. Ça devait arriver, Olivier Mazerolle, submergé par l'essence de son propre média, entre en combustion spontanée suite aux derniers rebondissements des Feux de la droite.


Et je dois avouer que je le comprends un peu.

Pas d'orchidées pour l'UMP

par
"Je demande un peu de sérieux"
Frédéric Lefebvre, clown légendaire de l'UMP, Itélé 21.11.2012.

Après ceux, pourtant déjà costauds, de dimanche et lundi, le 3e épisode dans la guerre pour la présidence de l'UMP est le plus décapant. Après la pitoyable organisation du vote de dimanche, les soupçons de fraude, les annonces anticipées de victoire de Jean-François Copé puis François Fillon, le décompte douteux des votes (toujours cachés à l'heure où j'écris), la commission à la noix qui proclame Copé vainqueur avec une avance de 98 voix sur 175.000 et, sur les chaines d'info continue, le grand déballage des lieutenants zélés, l'ancien premier ministre conteste depuis hier la victoire de son rival et menace, avec ses soutiens, de faire scission et de porter le barnum au tribunal. Les départements d'outre-mer n'auraient pas été comptés et, en fait, il l'emporterait de 26 voix. 

Après l'échec de Sarkozy, j'imaginais que le processus de destruction de l'UMP prendrait deux ou trois ans. Non, il aura juste fallu à ses cadors un semestre dans le rôle inhabituel d'opposants, sans pouvoir dépasser le stade de la colère d'avoir perdu, plus quelques jours d'un exercice inédit de démocratie interne, pour perdre leur sang froid et exploser sous nos yeux ébahis.  


Voir désormais des Benoist Apparu, Frédéric Lefebvre ou Christian Estrosi passer pour des modérés dans ce crêpage de chignon continu entre camarades jadis unis par le culte du chef en dit long sur la déliquescence du premier parti de France. 

Qu'écrire ? Le spectacle est fascinant. Sous les yeux du blogueur interdit et conscient que toute tentative de caricature des impétrants serait ridiculisée par l'original, l'UMP qui, il y a encore six mois était à la tête du pays, part en torche dans le bûcher de ses vanités contradictoires. Soyons honnête: c'est beau. Je verse ma larme, regardant cette télénovela de l'apocalypse politique où l'expression des militants est piétinée de bon coeur. Je suis aussi à la peine. Ce sont six années de blog qui, quelque part, s'achèvent. Car, tout autant que Sarkozy, ses sbires, ses "stormtroopers" qui étaient dans une logique d'occupation de l'agenda médiatique (dont ils ont du mal à se désintoxiquer) furent autant de sujets d'une indignation quotidiennement renouvelée. 


Passé le divorce à l'italienne, chacun sent que le paysage politique risque d'être bouleversé. Je me mets à la place des militants UMP, déjà ce qui s'est passé dimanche était consternant, après le rebondissement de mercredi, ils vont y réfléchir à deux fois avant de renouveler la cotisation.

Mais vraiment, qui récupérera les morceaux de cette boucherie? 

En se basant sur les résultats de dimanche qui sont les révélateurs de la fracture divisant ce parti, (fracture pourtant bien visible depuis l'été 2010 et le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, et en partie cause de son échec à la présidentielle), on peut songer à plusieurs hypothèses: 

La motion de la droite forte (pourtant pilotée par deux incapables qui feraient passer Benjamin Lancar pour un prix Nobel) étant arrivée en tête, on peut imaginer comme Gael Brustier que le grand gagnant serait la ligne identitaire, donc par ricochet, le FN. 


Est-ce suffisant pour que des électeurs de l'UMP filent au FN ? C'est moins évident qu'il n'y parait. Le FN et l'UMP, malgré un tronc commun d'islamophobie et de chasse aux assistés, ont des divergences profondes sur l'économie. Avec sa victoire sur le fil, Copé fait  la démonstration avancée de ce dont je suis convaincu depuis longtemps: il a les qualités requises pour dynamiter ce parti de l'intérieur et l'envoyer vers des scores électoraux à un chiffre. Encore plus de "pain au chocolat" et de radicalité, ferait donc théoriquement fuir une bonne moitié des électeurs UMP vers le centre. Et aller toujours plus loin, Copé n'a que ça en magasin.


Peut-on alors espérer voir la résurgence d'une force au centre qui prenne le relais ? Probable. Mais ce sera compliqué pour elle d'exister avec un gouvernement lui-même recentré.  Reste alors l'hypothèse d'un retour de Sarkozy. Trop tôt pour le dire, mais je n'y crois pas non plus: Il est l'origine de tous les désastres

La seule piste pour l'UMP est de renouveler ses têtes, de faire un bon score aux municipales et de préparer sérieusement ses primaires dans trois ou quatre ans. Ne jamais oublier que l'électeur de droite ne votera jamais à gauche, et que les forces de droite aussi disparates soient-elles, sont finalement perméables les unes aux autres. Seul un leader d'union peut réussir, ce qui passerait désormais pour un exploit, à les réconcilier. Pour l'instant, ce type ou cette fille je ne le ou la vois pas. Même Fillon qui avait vaguement cette aptitude parait carbonisé pour un moment. Note qu'à gauche on ne voyait pas plus de candidat d'union, il y a encore deux ans. 

En attendant à droite, on s'oriente vers la continuité en pire: soit deux partis d’extrême droite incompatibles (pour le moment, les alliances aux municipales seront à scruter avec attention), et deux partis de centre qui se détestent. Car, s'il y a mouvement des foules UMP vers l'UDI, soyons assurés que Bayrou, qui doit actuellement se mordre les doigts jusqu'au pied, ne lâchera pas sa baraque à frites. Ajoutons à cela un Nicolas Dupont-Aignan dont aucun des quatre ne veut entendre parler.

Le vainqueur immédiat du carnage n'est donc pas Marine Le Pen, ni Nicolas Sarkozy (entendu ce jour par la justice), mais bien François Hollande, lauréat de primaires ouvertes dont chacun a salué l'avancée démocratique qu'elles constituaient, le sérieux des débats et l'organisation, un François Hollande encore accusé d'amateurisme hier. Mais c'était hier. Les critères du sérieux politique viennent d'être durablement redéfinis. Et c'est la plus grande leçon de la semaine. 


Illustrations : Stephen J. / Salam93 / Seb Musset

21 novembre 2012

Les 10 prochaines propositions audacieuses de François Hollande pour améliorer le #mariagepourtous

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J'avais écrit le bien que je pensais de ces prolongations débiles du débat sur l'inévitable "mariage pour tous" propices à la radicalisation des opposants (dont on a encore vu quelques navrants épisodes ce week-end).

Hier soir, devant l'Association des maires de France, voulant éviter d'être un peu trop chahuté par la droite, François Hollande a lâché un nouvel "aménagement" à la carte à destination des élus qui refuseraient de marier deux personnes de même sexe: 

«Les maires sont des représentants de l’Etat et ils auront, si la loi est votée, à la faire appliquer. Mais des possibilités de délégation existent, elles peuvent être élargies. [...] La loi s’applique pour tous dans le respect néanmoins de la liberté de conscience.» 

Ou comment, en deux phrases: Ne pas comprendre qu'il s'agit dans cette loi autant d'égalité que de mariageRuiner un symbole en instaurant une célébration de l'union au rabais. Envoyer un message d'encouragement aux homophobes et un autre, désastreux, aux homosexuels. Et ouvrir une boite de pandore autorisant les maires à refuser tout et n'importe quoi.


Voici donc, en exclu pour le blog, les 10 prochaines pistes de François Hollande pour améliorer encore un peu plus sa loi sur le "mariage pour tous" et en faire un franc succès:

1 / La construction d'Algecos devant les mairies où seront célébrés en toute discrétion des "mariages pour tous" par des contrats d'avenir habilités à le faire à l'issue d'une formation de deux heures.

2 / Dans un souci de modernité, comme pour le règlement des impôts et la constitution d'un dossier d'auto-entrepreneur, nous mettrons en place un service informatique où chacun pourra faire en ligne, de façon totalement indolore pour la collectivité, son "mariage pour tous". (-10% avec le code "BeurkDesPédés")

3 / La création d'une grande foire au "mariage pour tous". En accord avec la loi sur la réquisition des bâtiments inoccupés qu'un jour je ferais peut-être voter, elle sera organisée dans les quartiers désaffectés de la prison de Fleury-Merogis. Un service de bus de nuit camouflés sera mis en place pour amener les suspects prétendants au mariage où les attendront des adjoints réquisitionnés selon leur orientation sexuelle. 

4 / En cas de persistance de mariage à la mairie, l'application de la clause de respect de "la liberté de silence des municipalités", imposera aux "mariés pour tous" sortants du bâtiment de laisser exploser leur joie uniquement par mime afin de ne pas heurter "la liberté d'homophobie" du voisinage.

5 / En république, on ne saurait tolérer la violence physique des opposants au "mariage pour tous". Ainsi, soucieux que les "mariés pour tous" ne se laissent tabasser sans se défendre, chaque suspect prétendant au mariage devra se livrer à un parcours de survie de trois jours et trois nuits dans les Ardennes, fin janvier, avec paquetage, bottes à la gadoue et treillis. Aucune pause pipi ne sera tolérée. Pour être "mariés pour tous" heureux, marions-nous pour tous musclés !

6 / Le pouvoir d'achat de tous les Français est une de mes priorités. Ainsi, afin que les "mariés pour tous" préservent leurs chaussures plus longtemps, je proposerai aux maires qu'ils obligent les suspects prétendants au "mariage pour tous" à rester à cloche-pied lors de la cérémonie. 

7 / J'étendrai d'ailleurs "l’amendement gay-pied", à tous les lieux publics. La république ne saurait tolérer que la liberté de conscience des uns soit une agression pour la liberté de conscience des autres.

8 / Vous le savez, l'amélioration et la performance des services publics est une autre de mes priorités. Ainsi, le port d'un signe distinctif sur le vêtement (à hauteur de poitrine, côté droit) permettra aux autorités de faciliter les contrôles de bonne marche à cloche-pied des "mariés pour tous" sans avoir à les importuner. La multiplication des contrôles serait une intolérable marque de stigmatisation et les "mariés pour tous" le vivraient mal. Et je ne saurais me résoudre à cette détresse en république.

9 / Afin d'éviter tout débordement et abus de "mariage pour tous", je mettrai en place un Conseil d'orientation de la crédibilité des unions, qui devra statuer au préalable, après consultation des dossiers des suspects prétendants au "mariage pour tous". Le COCU procédera à l'examen des pièces (présentation des fiches de salaires, des justificatifs des diverses appartenances religieuse et politique) avant de statuer, et d'autoriser la célébration du mariage. Le COCU sera composé de gens de la vie civile, comme par exemple Robert Ménard ou Ivan Rioufol, et de politiques comme par exemple Christine Boutin ou Jacques Myard, mais aussi de philosophes comme Frigide Barjot et, euh... enfin bref.

10 / La république c'est avant tout l'égalité et le vivre ensemble. Nous ne saurions abandonner les nouveaux "mariés pour tous" dans le dur parcours fait de stigmatisation qui les attend dans une société décomplexée ou le démon de l'homophobie ne se cache plus pour déverser sa bile. Je me prononcerai pour une réflexion sur la mise en place de logements collectifs pour "mariés pour tous" dans des zones réservées et vidéoprotégées. 

Allez François, encore deux ou trois sorties comme ça sur le sujet et, tranquille pépère, tu pourras faire de cette avancée promise, un ratage complet.

[update 21.11.2012 18h: François Hollande revient sur l'expression "liberté de conscience"]

15 novembre 2012

Tendances 2013 : La Soc-Lib mania prendra-t-elle en France ?

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Le but d’une conférence de presse présidentielle est d'abord de séduire la presse. Si j’en crois certains éditorialistes en pâmoison entamant la séquence de la lèche après celle de la lynche, l'édition  de mardi dernier est un succès. Il ne leur fallait pas grand-chose. Des invitations en grand nombre, la possibilité de faire des twit-pics depuis la salle des fêtes de L’Elysée pour souligner la véracité du LT et, surtout, que la soupe libérale que certains d'entre eux nous servent à foison depuis des mois trouve quelques échos au sommet de l'Etat. 

Il suffisait donc de répéter "compétitivité", de placer du "pas de tabou", de l'"objectif des 3%", le tour était joué. François Hollande est décidément un excellent orateur, mettant en avant l'autorité et la pédagogie qu'on lui reprochait de ne pas avoir. L’exercice formel, calibré pour satisfaire l'espérance des scribes, restait un poil bourratif pour le commun des mortels. Pas grave. Restera le digest qui en est fait pour les trois premières minutes du JT: de la responsabilité assumée, un cap annoncé douloureux, de la gravité entrecoupée de quelques traits d’humour

Ce serait presque parfait si la méthode choisie, la même qu'avant mais en mieux, n’était pas promise à l’échec. Car il me plait bien ce président. Je ne lui reproche que sa stratégie de sortie de crise et donc ses inévitables contrecoups sociaux, donc la continuation de la crise, cet état d’urgence perpétuel qui justifie tous les renoncements comme de pousser la réflexion économique plus avant. Donnons-lui à sa demande deux ans pour que cette inclinaison soc-lib à plusieurs milliards se révèle au mieux sans effet sur la qualité de l'embauche, et que, à l’approche de l’élection nouvelle après avoir été entarté aux municipales, se drapant d’un gouvernement soudainement réassorti de rouge pastels, le président réoriente enfin son action à gauche.

Ça tombe bien, on a le temps.

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13 novembre 2012

La compétitivité incomplète

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Une semaine après l'annonce de la "trajectoire de compétitivité" du gouvernement Ayrault visant à créer 300.000 emplois en cinq ans (en admettant que l'application des recettes habituelles à base de cadeaux fiscaux pour les entreprises ne produise pas les mêmes effets sur l'emploi: c'est-à-dire aucun), une note du ministère du Travail nous apprend que 300.000 c'est précisément le nombre de salariés de l'Union européenne déjà en compétition locale avec les Français. 

Aussi juste soit le diagnostic du rapport Gallois (constat de la désindustrialisation française depuis 10 ans et de l’effondrement de la balance commerciale de +3.5 milliards à -71 milliards dans le même laps de temps[1]), la réponse gouvernementale est en partie hors sujet. Comment prétendre traiter la question de notre "compétitivité" sans aborder...

1 / ...la question du protectionnisme. Quitte à augmenter les taxes pour aider nos entreprises, on pouvait la concentrer sur certains produits d'importation, hors UE, anormalement bas dans les rayons de nos magasins. Adossé à un effort financier ciblant la recherche et le développement, les PME et les entreprises de taille intermédiaire, cela nous pousserait à nous creuser la tête pour fabriquer français dans des secteurs technologiques ou manufacturiers délaissés. 

2 / ...l'harmonisation de la fiscalité et de la grille des salaires au niveau de l'UE. Tant que subsistent des disparités allant du simple au quadruple au sein d'une même zone monétaire[2] nous empêchant une dévaluation compétitive, tout discours sur le coût du travail français revient à pisser dans un violon (en l’occurrence filer du pognon aux entreprises parmi lesquelles les plus grosses - que cela n’empêchera d'ailleurs pas de massivement licencier -, le tout en tapant dans le porte monnaie des Français et en réduisant les dépenses publiques). Pour le moment, l'Europe sert encore à justifier un dumping salarial sans fin pour ceux subissant déjà la crise, tandis que rentiers et détenteurs du capital s'en servent de support de chantage à la délocalisation

Tant que ces deux questions[3] ne sont pas abordées, on peut financer autant de crédits d'impôt que l'on veut et brandir chaque jour de nouveaux sondages sur les velléités du salarié à voir sa paye ratiboisée pour conserver son emploi, la "trajectoire de compétitivité" se résumera à une course entre deux murs sur lesquels nous nous cognerons sans fin, un coup dans l'international, un coup dans l'européen. Peut-être espèrent-ils qu'à force de chocs, on ne sente plus rien.


[1] 10 ans de droite mais aussi 10 ans de monnaie unique.
[2] Le discours sur la compétitivité tend à cet alignement européen. Dommage qu'il se fasse par le bas, au détriment des droits du travailleur, du pouvoir d'achat des ménages, et sans pour autant arranger la situation sociale ici et là-bas. 
[3] Une troisième piste serait d'augmenter le nombre des inspecteurs du travail et de  contrôleurs fiscaux. Avantage: pour un investissement minimum, et avant d'avoir à leur signer un chèque en blanc, nous ramènerions rapidement des dizaines de milliards détournés par les entreprises (via les fraudes, dont par exemple le recours à cette main d'oeuvre européenne payée aux standards de leur pays d'origine alors que c'est interdit). 

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10 novembre 2012

Travail dominical chez Bricorama : Ces journalistes au chevet d'un délinquant multirécidiviste

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Les patrons ont compris. Ça paye plutôt bien de chialer à longueur de journée. Après un cadeau fiscal de 20 milliards, la réédition sans condition du gouvernement aux fariboles du "manque de compétitivité" ou l'à-plat-ventrisme express de Bercy face à trois pigeons en ligne, pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin ? Dans un climat aussi porteur, la bataille idéologique pour le dynamitage du droit du travail se doit de continuer ! Next stop, le travail le dimanche.

A ce titre, la real-tragédie se jouant à guichet ouvert sur nos écrans autour de l'enseigne Bricorama est un petit bijou de 'com. Mêlant patron en pleurs, une poignée de salariés manipulés ne voyant pas plus loin que le bout de leur nez et des journalistes chausse-pied trop contents d'en faire les martyrs de l'oppression syndicale, les péripéties salario-lacrymales du groupe à 25 millions d'euros de bénéfices l'an passé n'ont rien à envier aux épisodes les plus racoleurs du Jour où tout a basculé.

Résumons les faits.

Jean-Claude Bourrelier, boss de Bricoramaa sciemment violé durant des mois une décision de justice en ouvrant ses magasins le dimanche. Suite à la plainte du syndicat FO, l'enseigne risque désormais de régler une ardoise de 37 millions (30.000 euros par dimanche et magasin ouvert) comme par hasard non provisionnés par l'enseigne. Alors que les grosses boites sont promptes à licencier un employé pour un détournement de 3 euros de matériel, une telle erreur de gestion, en sus de l'infraction répétée et préméditée, aurait dû coûter illico son poste à Bourrelier. Et bien non! Quand le patronat veut, il ne compte pas. Pas satisfait de les avoir instrumentalisé une première fois, le patron de Bricorama menace maintenant de licencier une partie des salariés si la justice ne se montre pas plus clémente. Et voilà notre délinquant récidiviste entamant une croisade médiatique où il endosse, avec l'aide de quelques fayots et le soutien appuyé de notre éditocratie, le costume du samaritain victime de la cabale syndicale.

Car, au-delà du trou de compta de l'enseigne, nous sommes ici dans le symbolique à forte valeur libérale ajoutéeLa bataille médiatique fait rage, unilatérale. Là dans un reportage du JT de France 2 auquel il ne manque que la musique de La liste de Schindler pour me tirer une larme, on suit le Bourrelier, victime, du tribunal aux rayons de son magasin où il supplie les managers de soutenir les "collaborateurs volontaires" (aka les mecs mal payés comme des merdes le reste de la semaine) dans cette douloureuse peine de repos qui les attend dimanche prochain. Et nos plus grandes plumes d'exprimer une soudaine solidarité avec les salariés à 3 chiffres:


Sur BFM, Olivier Mazerolle et Ruth Elkrief, indignés, se livrent en roue libre à une condamnation de cette condamnation de justice empêchant les pauvres gens de travailler plus pour gagner plusAu téléthon des patrons, la jeune garde de l'éditocratie n'est pas en reste. Sur Europe 1, David Abiker, apologiste à la cool et multisupports de la soumission salariale la plus hardcore, s'aligne sur l'argumentaire victimaire de Jean-Claude Bourrelier dans une chronique pastiche à peine plus caricaturale que l'original (faut écouter, c'est beau comme du Carreyrou sous LSD). Nos procureurs médiatiques n'ont à la bouche que le mot "la liberté", nous refaisant le verdict avec un satanique FO au banc des accusés et des salariés dans une galère dont l'état "ubuesque" serait l'unique cause. Et ma brave dame, avec tout ce chômage empêcher ceux qui veulent travailler de travailler: c'est criminel!

Tant de lyrisme de la part de nos Zola du Medef ferait presque oublier que l'immense majorité des salariés ne travaillent pas le dimanche et souhaitent qu'il en reste ainsi.

Alors rappelons au minimonde des marquises en lévitation:

1/ La "période de chômage" a bon dos. Depuis bientôt 40 ans elle sert à tout justifier, des stages non payés aux coupes de salaires, de la flexibilité au cumul des postes. L'urgence n'est pas de travailler plus, mais d'embaucher plus. 

2/ La justice a tranché. Bricorama et son patron sont coupables. Je n'ai pas le souvenir, parmi les  verdicts judiciaires relatifs aux moult faits-divers dont les médias nous abreuvent, d'un tel soutien journalistique envers les condamnés.

3/ La liberté à la carte du "salarié qui veut" ne doit pas dégrader les droits fondamentaux de tous ceux qui ne veulent pas. 

4/ Si les salariés ont un combat vers lequel ils doivent prioritairement "se porter volontaire" (mais auquel les médias n'apportent bizarrement jamais leur soutien), c'est celui pour être augmenté le reste de la semaine afin d'éviter d'avoir à travailler le dimanche ! 

5/ Je sais c'est injuste, mais que les Abiker, Mazerolle ou Aphatie (payés en une chronique les pieds sous la table le triple de ce que gagne une caissière en suant toute une journée) puissent enfin jouir de la liberté de s'acheter des tasseaux de 12 le dimanche (trop occupés qu'ils sont le reste de la semaine à cachetonner d'un plateau à l'autre pour sommer les smicards d'être plus compétitifs) n'est pas une priorité nationale. 

La bataille d'influence menée par notre Abbé Pierre des temps modernes et ses disciples d'antenne pour renverser le verdict est un nouveau cheval de Troie vers une dérégulation supplémentaire du code du travail. La suite on la connait déjà. Une fois l'exceptionnel banalisé, le travail dominical généralisé, Bourrelier et consorts pleurnicheront encore. Ils nous rejoueront à grands coups de pathos et de chantage au licenciement, la tragédie du patron victime d'un code du travail bridant toujours plus la croissance entrepreneuriale, et crieront au drame, cette fois, d'avoir à payer double le dimanche pour une journée de boulot désormais comme les autres. 

9 novembre 2012

Les étudiants américains ont la grosse dette

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En une infographie, deux ou trois choses que j'ai compris de l'inflation de la dette des étudiants américains, un mécanisme pervers qui plombe une génération. Note que le schéma (crédulité du prospect abandonné à un secteur de plus en plus libéralisé dont les prix ont en moyenne doublé en 10 ans + promesses d'élévation sociale par l'endettement) est simple et applicable dans plein d'autres secteurs (santé, retraites...) et qu'il rappelle notre bulle immobilière par la clémence appuyée dont l'Etat a longtemps fait preuve. 


Cette inflation de la dette étudiante est également liée au fait que les prêts étudiants sont garantis à 88% par l'Etat alors que dans le même temps celui-ci a réduit son financement dans l'éducation (bref c'est de la subvention pure et simple aux banques contre les intérêts de la collectivité).

Reste que le mécanisme tant qu'il tient a plusieurs avantages pour le capital:
1/ Evidemment pomper mensuellement du pognon avec intérêts (enfin tant que c'est possible de rembourser).
2/ Renforcer la ghettoïsation de classe.
3/ S'assurer une main d'oeuvre docile et à bon marché.

8 novembre 2012

La victoire d'Obama ou le second crash-system de la droite forte

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Ah si seulement le droit de vote était réservé aux vieux mâles blancs cons, riches et isolés l'occident n'en serait pas là, fulminent-ils. Le suspens était donc gonflé aux hormones de droite: Barack Obama est réélu président des Etats-Unis et mieux que ses détracteurs ne le pensaient. 

A en suivre les commentateurs et les chaines d’info continue, ici comme là-bas, cette réélection est un "exploit", à deux doigts de l'inconvenante surprise. Passé le délice matinal de survoler les tweets de nos libertarés locaux et autres apprentis néo-cons qui se voyaient déjà en haut de l'affiche à Broadway, et d'un billet d'Ivan Rioufol (le journaliste du Figaro capable dans un même billet de s'insurger contre le "monde globalisé" tout en souhaitant plus de libéralisme) s'insurgeant de cette victoire de "la diversité" (on appelle ça aussi le peuple), nous ne poussons un grand ouf de soulagement. S'il ne soulève pas le même espoir qu'en 2008, ce résultat rassure sur la robustesse des peuples. La campagne financée à coup de dons de 3 dollars décroche la timbale face à celle sponsorisée par les banques et les grosses entreprises

Au niveau tricolore, après l'éparpillement façon puzzle de l'UMP d'il y a six mois, la réélection d'Obama en conjoncture merdique valide la faiblesse des stratégies électorales de type "droite forte" à la Copé-Peltier. En plus de sa richesse un peu trop affichée et de sa relégation des classes populaires à la rubrique perte et fracas, le beau Mitt a pâti des énormités répétées sur la religion ou l'avortement de son aile la plus droitière. Sur un point encore plus anecdotique, mais si savoureux, cette victoire accélère un peu plus la date de péremption d'un retour politique de  Nicolas Sarkozy, monsieur Ouiwilleouinetouguézeure qui, entre autres prétentions, s'autopersuadait d'être le frère jumeau du grand Barack.

Seule ombre au tableau: une cohabitation toujours en place qui compromettra encore le volet social de l’action d'Obama. Cette victoire ne doit pas faire oublier non plus que des forces de hétéroclites, à priori incompatibles, se sont soudées en un temps record sous la présidence d'Obama, un peu à l’image de ce qui commence à se passer ici depuis six mois. Le mouvement des pigeons ou celui des anti-mariage pour tous sont les prémisses d'une coalition contradictoire allant des libéraux aux réactionnaires, en passant par les "apolitiques" et les couvertures des news magazines les plus célèbres, d’abord unis par leur terreur fiscale, le refus de "payer pour les autres" et la détestation d'une application, même vague, du socialisme. Avec, en prime, la sucette du repli identitaire apeuré saveur musulmanopéril.

Obama quittera la présidence six mois avant la fin du quinquennat Hollande en mai 2017. Notre droite a le temps d'ici là de mettre de l'eau plate dans son vin de messe, de faire des alliances avec une extrême droite ripolinée, de propulser un candidat fourre-tout à la Fillon (réussissant l'exploit de faire oublier qu'il a été cinq ans premier ministre et qu'il est aussi violent que Copé, voire plus). Le combat sera rude pour la gauche, d'autant que celle au pouvoir ne l'aide pas particulièrement ces temps-ci

Et comme l'on doit beaucoup à l'Ohio...

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