28 juillet 2012

L'agonie de la voiture à papa

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Plans sociaux, transhumances motorisées des vacances, piétons tués, le fond de l'actu est à l'auto. Juan ex-Sarkofrance nous demande "Et tes premières voitures, c'était quoi ?"

L'automobile je ne la connais plus que sous son angle extérieur et urbain: grillant son feu devant mes gamines, rasant les piétons, échappant ses gaz au ras des poussettes, gavant l'espace sonore, occupant inerte de jour et de nuit la majeure partie de la chaussée, se parquant en warning sur les espaces livraisons. Les galériens de la conduite me racontent aussi, celui gueulant sur ses points perdus comme si on l'avait violé, l'autre pleurant sur l'énième panne lui ayant "coûté un bras à réparer".

Il aura fallu 5 ans pour que j'en sois vacciné. 5 ans de vie à Paris à subir les ravages de l'auto individuelle, triomphante et souveraine, de son OPA sur les âmes, de l'agressivité et des incivilités de ses conducteurs, de ses émanations toxiques, de sa ringardise (bah oui c'est laid), de son inefficacité (malgré l'accélération entre deux feux, la voiture est au final une façon de se mouvoir bien peu compétitive dans les zones denses). A force de remiser (chèrement) une auto dont j’avais de moins en moins de plaisir à me servir, j’ai fini par m'en débarrasser, avant de me découvrir une totale aversion pour ce moyen de locomotion dans sa version individuelle.

J'entends les hurlements gutturaux de l’automobilus excédé trouvant scandaleux la réappropriation pédestre des voies sur berges à Paris et l’inflation des couloirs de bus. La ville est un lieu de vie et n'a pas comme finalité d'être une autoroute. Mais qu'ils se rassurent les autospoliés: des centaines de rues parisiennes, des centaines de milliers en France, font encore la part belle aux possibilités d’accélérations automobiles classées "citadines" tandis que leurs trottoirs, classés "facultatifs", sont réduits à la portion congrue, entravant la déambulation des piétons et des personnes handicapées (qui le sont parfois à cause d'accidents de voiture, le monde n'étant pas un cynisme près). Plus triste, cette invraisemblance est considérée comme normale aussi bien chez les conducteurs que par les piétons.  


Nostalgie crasse des trente glorieuses et consumérisme hédoniste tenace, la voiture est encore sacralisée. Elle est tour à tour objet de représentation sociale, extension délocalisée de son petit confort sur canapé ou encore variable d'ajustement permettant d'acquérir un bien immobilier plus grand en banlieue, toujours plus loin de son boulot (pour venir gueuler après sur les radars et le prix de l’essence, et que les prix de l'immobilier sont impossibles en ville). Le territoire, lui, portera pour des siècles les stigmates au goudron de la civilisation du tout moteurun réseau autoroutier pensé, prévu, entretenu pour que nous puissions accélérer et entretenir jusqu'à l'absurde cette contradiction fondamentale dans laquelle s'enferre le monde autoproclamé moderne: vouloir aller toujours plus vite que l'autre, là où il nous faudrait tous ralentir ensemble (enfin... on m'informe que ce sera le cas ce week-end aux barrières de péages). Le discours média ambiant est lui globalement pro-voiture[1] (Si, des médias dont les constructeurs sont parmi les premiers annonceurs ne peuvent pas vraiment avoir un discours révolutionnaire sur le sujet ni valoriser en prime time l'alternative[2]). 


Pourtant, d'ici une à deux générations, la société de la voiture à papa m’apparaît condamnéeAutour de moi, chez les moins de 40 ans, j’entends de plus en plus parler covoiturage, location, voyages en train, voiture en libre partage. Au-delà des heures de stress épargné, se débarrasser de sa voiture représente une conséquente économie budgétaire. Qui pourra consacrer 10.000 euros à l'achat de truc et 5000 de plus à à l'usage à l'année ? La fin du règne de la voiture perso commence dans les villes, par la force des choses[3], parfois maladroitement[4], sous l'étiquette "bobo"[5]. C'est un mouvement de fond qui se propagera d’une façon ou d’une autre à l'ensemble de la société. 

Le déclin de l'ancien PSA est un signe de cette tendance. Et si l'industrie de la voiture se maintient encore un peu par chez nous, c'est qu'en face des abstentionnistes et intermittents du volant subsistent toujours des multipropriétaires de bagnoles et l'indécrottable cohorte de ceusses qui  changeant de caisse tous les deux ans, parce que "sinon tu comprends, elle décoterait trop". Prenons le pari que dans les années à venir, le prix des véhicules et du permis vont baisser, mais que le prix au kilomètre parcouru (ou pas) va en revanche augmenter (taxes, stationnement, énergie, péages urbains) et que nous dirigerons lentement mais surement suivant les zones vers des modes de consommation groupés, de location ou "au forfait".  Certains crieront au retour au moyen-âge et à l'intolérable atteinte aux libertés.... comme à chaque fois qu'on leur parle de progrès et de bien commun.

Ah zut. Avec tout ça, je réalise que je n'ai répondu à la question de Juan. Mais bon, assez parlé du passé. Un peu d'audace, posons la vraie question: Qui possédera encore une voiture individuelle demain? 


[1] Je vous renvoie au documentaire pro-voiture Les Français au volant de S.Benhamou diffusé sur France 3 en mai dernier. Prétendant dénoncer nos comportements sur la route, avec force sketchs comiques, multiples réclames, quelques sporadiques interventions d'un sociologue et expurgeant toute image dérangeante, le film aux allures fun ne fait que les excuser et se révèle être une pub de 2 heures à la gloire de la voiture individuelle. 

[2] Autrement que sous la forme punitive ou à visée marketing (roulez propre !), ou la forme de "la débrouille" traitée de façon pittoresque (type sujet de JT)

[3] Un parisien sur deux n'a pas de voiture.

[4] La victoire immédiate de l'Auto lib comme celle du Velib est de reconquérir de l'espace de stationnement pour tous.

[5] Bobo. Mot définissant une théorie parfois pertinente, mais devenue le réceptacle foutraque des fantasmes que le type des champs se fait sur le type des villes. Particulièrement usité chez le politique ne voulant pas trop s'attarder sur la nature libérale de son programme, le "bobo" est alors opposé à l'autre fantasme foutraque des "classes moyennes". A l’ère de l'instantanéité et de la grande distribution tentaculaire, consommateurs des champs et consommateurs des villes sont souvent les mêmes, partagent les mêmes ambitions, s'habillent des mêmes marques, expérimentent les mêmes produits culturels, ont les mêmes comportements, parfois même au même moment. 

Illustrations: Death proof Q.Tarantino (2007), The legend of Ricky Bobby, A.Mac Kay (2006)

25 juillet 2012

Taxi 5 : Écrasez français !

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La fracassante nouvelle me sort de la torpeur estivale. 

En marge de ses propositions pour sauver la filière automobile française, Arnaud Montebourg annonce que Cédric Klapisch et Luc Besson réaliseront des films publicitaires pour inciter à acheter des voitures françaises !

Oui le Luc Besson du pompeux film publicitaire pour la candidature parisienne des jeux olympiques de 2012 à Paris. Oui Luc Besson l'apologiste des rodéos urbains en 406 thuné et de l'incivilité au volant avec force doigt d'honneur à la police dans la série des "Taxi", dont le premier opus a encore fait 6 millions de spectateurs dimanche dernier sur TF1 au terme d'un week-end où, seulement, cinq piétons furent écrasés par des conducteurs décomplexés aux quatre coins de la France.

Survol des premières réactions:

" - C'est une très bonne idée que j'aurais pu avoir" Nicolas S. président non recyclable, primé à la casse.

" - Youpi ! Ma productivité est redressée. C'est dommage quand même. Ça va m'empêcher de faire ce film sur le déclin de la classe ouvrière que je rêvais de faire depuis des années." L.Besson, cinéaste en bâtiment.

" - C'est assurément un coup d'accélérateur pour l'industrie automobile française. Mais moi je vais rajouter une scène de karaoké avec des prolos pour donner une dimension plus humaine" C.Klapisch, second "réalisateur militant".

" - C'est pas ça qui va faire baisser la mortalité sur les routes, mais s'il faut sacrifier des vies pour sauver des emplois, la cause se défend. Mais bon, je vais quand même demander aux réalisateurs d'Intouchables de me faire un film sur les ravages de la délinquance au volant. On n'est jamais trop prudent" Manuel V. Ministre.

" - Arnaud Montebourg manque d'audace. Me demander à moi, voilà qui aurait été tellement plus novateur" J.Séguela, jeune premier de la publicité.

" - Quoi ! Conduire une voiture hybride ! Tu veux mon poing dans la gueule ?" Samy N., comédien de cinéma vérité.

" - Ça tombe bien, nous préparons justement par le plus grand des hasards un dossier "Écraser français, l'über tendance"" Audrey P. journaliste indépendante

" Ça ne va pas assez loin ! Il faut que nos joueurs de foot arrivent en DS3 sur le terrain en chantant La Marseillaise et la messe en latin, sinon ça ne sert à rien"  I.Rioufol, éditorialiste

" - Je regarderai avec plaisir, enfin si on ne m'a pas saisi ma télé d'ici-là." Christian R, ouvrier chez PSA

"- Tournage cherche figuration cascade pas trop regardante sur les conditions de travail pour le prochain Luc Besson. Ref 4415-26" P.Emploi Spectacles

Ci-joint le précédent travail du réalisateur pour l'industrie automobile allemande :

Europa corp: La Recette Luc Besson [ parodie ] par mozinor

22 juillet 2012

Apocalypsimmo 10 : SOS proprios en détresse

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Damnation, l'odieux projet se concrétise. La loi sur l’encadrement des loyers de la ministre du logement Cécile Duflot est publiée au journal officiel, applicable dès le 1er aout dans 38 villes à forte tension locative.

Les propriétaires ne pourront désormais plus augmenter n'importe comment leur(s) bien(s) entre deux locataires et devront respecter l'IRL (indice référence des loyers). Un numéro vert d'information a été mis en place pour propriétaires et locataires.

Morceaux choisis, au coeur du SAV, en exclusivité pour le blog de Seb Musset.

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Ah mais kessessé ce bordel ? Y a l’autre gaucho-ecolo-bobo qui veut m’empêcher de faire du blé ! Qu'elle s'occupe du colza transgénique et d'ses robes à fleurs et qu'elle m'fasse pas chier OK ? La propriété c’est une affaire d’homme. Faut mettre un type à poigne là-dedans. Euh… un George Tron ou un David Douillet !

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- C’est quoi ce scandale ! Je ne vais faire que du +3% à l’année. La gauche veut m’étrangler c’est ça ? Des appartements que j’ai payés à la sueur de mon héritage !

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Voulez que je vous fasse la liste des frais pour la studette que j'ai mis en loc' ? 14,20 euros de peinture chez BatiGro et le paravent escamotable pour séparer les chiottes de la chambre et la chambre de la cuisine, 16.50 euros à la Foir'fouille ! Vous croyez que ça me tombe tout seul dans les mains l’argent, m'dame Duflot ? Moi je suis pas un politcard pourri qui encaisse l'argent en se tournant les pouces... euh... enfin voilà quoi. Bon je vous laisse, je vais rater C dans l'air.

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Madame Duflot, le vrai problème en France ce sont les pauvres. Ils ne nous payent pas assez et ils ne payent pas assez de taxes, tout le monde le sait. Sinon, euh, je voulais savoir pour la défiscalisation Bouvard sur les meublés ça marche toujours cette année ? Non je demande c'est parce que je suis sur un lot pas cher de 12 apparts boulevard Arago.

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Bah moi je m'en fous, je ne loue qu'aux touristes. Et au black ! Pas un sou pour les voleurs des  impôts. 600 euros la semaine le 2 pièces à Bastoche, ça me paye mes Cohiba. J'aime pas les étrangers, mais faut reconnaître que c'est moins d'emmerdes. Fini les cas sociaux locaux. Dommage, on a raté les JO, je serais passé à 1800 la semaine. Le problème c'est que La France est foutue parce que chacun pense à sa gueule. Sale mentalité, j'vous jure.

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Bafoués, humiliés, spoliés. Halte aux lois iniques qui nous blâment d’être propriétaires. Que la  gauche molle cesse de rendre la Gaule moche !

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Mais vous n’y pensez pas ! Vous voulez crever la bulle immobilière, c'est ça hein ? Mais vous êtes inconsciente, Madame Duflot ! Si les prix descendent, un jour les gens achèteront sans s'endetter. Ou pire, ils nous loueront des apparts à des prix normaux pour eux. Mais c'est la fin du monde tel qu'on le connait !!!!

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- C’est une connerie sans nom ! La récession est en marche ! Les rentiers sont la force vive de ce pays ! Vous ne croyez quand même pas qu'on va s'en sortir en travaillant ? Un peu de réalisme à gauche ne ferait pas de mal.

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- C’est scandaleux. Vous allez voir qu’un jour ils vont me forcer à poser des fenêtres et des chiottes pour mes locataires !

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Si c’est comme ça nous, France des propriétaires, détruirons nos logements. L’Etat soviétique n’a pas à nous empêcher d’empocher. Nous redistribuons déjà bien assez à la vermine galeuse des assistés. No Pasaran los ploucos. Ré-sis-tance !

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

Robert Ménard a dit qu’il existe deux façons de raser une ville, le bombardement et l’encadrement des loyers. Il a bien raison Robert Ménard.

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Madame Duflot ne connait pas les règles fondamentales du marché : bloquer le prix va réduire l'offre. Pour augmenter le prix, il faut au contraire bloquer le locataire. C’est le minimum. Ça s’apprend en première année d'M6! Mais Madame Duflot est probablement plus occupée à regarder les Thema d'Arte sur le cannabis. Ah jolie mentalité !

Dring. 

- Sos Encadrement des loyers Bonjour.

- Bon bah moi je suis locataire et je tenais à remercier madame Duflot. Certes, ça ne pas va changer les choses pour la plupart, ça en aidera quelques-uns, et surtout, il y a encore tant à faire. Mais quand je vois comment ça rend dingos les proprios et les types de droite, malgré tous les tirs de barrage qu'ils ont déployés depuis des mois pour contrer ce projet, jusqu'à finir par siffler la ministre à l'assemblée, je me dis que ça va dans le bon sens. Continuez Madame Duflot!

Le pearltree des Apocalypsimmo 
Illustration Pontypool de B.MacDonald (2008)

20 juillet 2012

Le crépuscule du nouvel Hollywood

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Nous sommes le 23 juillet 1982

Ou plutôt non. Comme Bill Connor, employé de bureau californien, nous sommes projetés en arriére dans une autre dimension du temps: Au Vietnam en 1970, dans une nuit d'enfer, sous les bombardements de l'armée américaine. Les GI’s rasent un village de paysans. Terrorisé, Bill le réac xénophobe qui gueulait quelques heures plus tôt sur l’invasion des "jaunes" dans l’industrie automobile avec la nostalgie d'une époque où l'on pouvait leur coller une raclée, devient le persécuté. Ce soir, il court entre les rafales américaines et les missiles lancés par hélicoptère. Apercevant deux enfants en pleurs dont les parents viennent d’être abattus, il leur promet: 

"- Venez les enfants, je vous protégerai. Je vous le jure !"

Il les prend sous sa coupe. Ils entament sous les bombes la traversée de la rivière bordant le village.

Fin de l’histoire.

Sauf que cette nuit le tournage a pris du retard.

2h00 du matin. Au bord du plan d’eau de l'Indian dunes park à 70 kilomètres au nord-est de Los Angeles, l'équipe déco a reconstitué un village vietnamien en bambous, truffé d’explosifs et d’effets pyrotechniques télécommandés pour la scène finale du segment que réalise John Landis pour le blockbuster fantastique que la Warner annonce pour l’été 83: Twilight zone the movie.

2h10. Un assistant court à la caravane où se sont endormis Renée Chen, 6 ans et My-ca Le, 7 ans. Ils doivent se rendre sur le plan d'eau pour ce dernier plan à grand spectacle, probablement le moment le plus spectaculaire du script. Les deux gamins, peinturlurés de boue, ont déjà une nuit de tournage dans les pattes. Ils ont été castés, un peu par hasard l’avant-veille, parmi les clients d’origine asiatique du docteur de la femme du producteur associé. Ils étaient ravis de participer à un gros film hollywoodien produit par Steven Spielberg et John Landis.
*
2h15. Avant la prise, Vic Morrow leur fait des grimaces pour réchauffer l'ambiance. La cinquantaine, l'acteur compte sur ce film pour relancer sa carrière. Ce n’est pas une star bankable du moment comme Eddie Murphy ou Stalonne, mais une de ces "gueules" familières que l’on croise sans pouvoir nommer depuis 30 ans dans les sériés B d’action ou les téléfilms.

2h20. "- Action !"

John Landis lance la scène au porte-voix.

Six caméras filment l'assaut sur le village et le départ des fugitifs. Impacts de rafales sur l'eau, jets de flamme sur les cabanes. Fidèle à la promesse de Bill Connor, Vic Morrow saisit un enfant sous chaque bras et entame la laborieuse avancée de la rivière. Derrière eux, un tapis d'explosions. Le village part en flammes. Les déflagrations et les crépitements des mitrailleuses redoublent.

En retrait sur une butte, ayant vu l’hélicoptère de l'armée raser le village à plusieurs reprises lors des répétitions, la maman de Renée a demandé un peu plus tôt dans la soirée si ce n’était pas un peu dangereux. Le réalisateur lui a répondu que non. Les enfants sont protégés, je vous le promets. C'est marqué dans le script.

Retour vers l'enfer. Le souffle du rotor complique la traversée de Vic et des enfants. L’acteur laisse tomber Renée dans l’eau. Il s’abaisse, la ramasse avec difficulté. Ils continuent.

Landis est grisé par son petit Apocalypse now au coeur des ténèbres. Après l’inflation des cascades dans ses deux derniers films, le pandemonium final sur Picadilly Circus du loup-garou de Londres (1980) et les carambolages géants de Blues Brothers (1981), il a une réputation de chef de  cascades épiques à défendre.

John Landis sur le tournage de Blues Brothers (1981)
L’hélicoptère est maintenant dangereusement près des acteurs. La reconstitution est réussie. Ce n’est plus du cinéma. Chacun sent bien le danger, mais tout le monde obéit. 

Le réalisateur hurle au pilote par talkie "- plus bas ! plus bas ! plus bas !".

Dans le chaos visuel et sonore, l’artificier lance une nouvelle explosion, la plus puissante, une boule de feu. Renée tombe à nouveau. L’assistant hurle au pilote de l'hélicoptère, bien trop bas, de partir de là. Trop tard. L’hélicoptère est déstabilisé par le souffle. Il bascule et s’écrase sur la gamine. Le rotor part en vrille, fauche et décapite l’acteur et le deuxième gamin.

2h30. Retour du silence sur le plateau.
*
"- C’est dans la boite" lâche Landis.

Les parents hurlent, l’équipe incrédule converge vers l’hélicoptère à moitié submergé dont s’extraient les occupants sonnés, mais indemnes. Très vite, chacun constate le carnage.

"- Laissez le matériel ici. Rentrez chez vous ! S'il vous plait, rentrez chez vous !"

L'écho du tournage label Spielberg se transformant en snuff-movie à gros budget provoque un effroi estival à Hollywood, vite estompé. En France, on peut lire une vague brève dans la presse spécialisée alignée sur la version de la production : c’est un drame affreux, mais rien ne doit arrêter la magie du cinéma. Rien ne sera évoqué lors de la sortie l’année suivante du film expurgé de la scène meurtrière. Un "mauvais cru" écrit la presse cinéma lorsqu'elle doit pudiquement qualifier les quelques ratages du maître. Il bénéficie alors d’une telle aura qu’on lui pardonnerait tout.

Ce sera le cas.
*
 
Au début des années 80, Spielberg est le wonder-kid du nouvel Hollywood. La période, définie par Peter Biskind, a vu se régénérer le paysage du cinéma américain en moins d'une décennie, démultipliant au-delà de toutes les espérances d'une industrie fatiguée ses potentialités d'encaisser du pognon. Lucas, Scorcese, Copolla, De Palma... de nouveaux réalisateurs révolutionnent la façon de tourner, de produire et de marketer les films. Au sommet du box-office enchaînant les hits depuis 1976, tout ce que touche Spielberg (Jaws, Close enconters, Indiana Jones...) se transforme en millions, voire en milliards. En 1982,  la Warner fait des pieds et des mains pour travailler avec lui, alors que son précédent film ET (1981) bat encore tous les records de fréquentation en salles dans le monde entier.

Twilight zone the movie arrive au paroxysme de la période:

- Le projet est une lubie de Spielberg reprenant la franchise de la célèbre série fantastique des années 60 signée Rod Serling, la quatrième dimension en français. Mais trahissant un peu le concept original, le spectacle se doit d'être plus familial, et cibler un large public, deux sketchs sur quatre ont pour univers l’enfance.

- Le star-system s'est en partie décalé des acteurs aux réalisateurs. Malgré le budget conséquent, il n'y a pas de grosses vedettes à l'affiche de Twilight Zone the movie. Les réalisateurs des sketchs sont les stars: John Landis, Joe Dante (de loin le plus intéressant), George Miller (sorti tout droit de Mad Max) et Spielberg lui-même.

Réalisateur plus modeste du nouvel Hollywood, John Landis doit son succès à des comédies potaches avec la star du Saturday night live, John Belushi, qui est mort d’une overdose deux mois plus tôt. Le sketch de Landis relatant les vicissitudes d'un raciste confronté en tant que victime aux divers visages du racisme à travers le siècle (le nazisme, le Klu Klux Klan et les exactions de son propre camp), est l’occasion parfaite lui permettant d’allier pour la première fois un sujet plus mature (sur "la tolérance" comme il le rappellera à son procès) à une scène d’action finale d’"anthologie".
*
Vic Morrow dans Twilight zone the movie (1982)

On ne refera pas le procès ici, mais il ressort de la documentation lue sur le sujet que :

- pour s'éviter des problèmes et des contrôles, la production (Spielberg / Landis) n'a pas déclaré les enfantsLes parents ont été payés 500 $ cash chacun, les noms ne figureraient pas au générique. De plus les parents affirment ne pas avoir été informés des dangers précis de la scène. Leur mauvaise maîtrise de la langue anglaise jouera contre eux au procès où ils passeront presque pour des complices.

- John Landis a sciemment employé un pilote d’hélicoptère non qualifié selon les standards de sécurité des tournages pour s’assurer de sa totale soumission à ses souhaits "extrêmes" de mise en scène. Au procès, Landis reportera toute la responsabilité sur les artificiers.

- plusieurs témoignages relatent l’état second du réalisateur, très énervé et incohérent cette nuit-là, au point où bruisse fortement la rumeur d'une prise de cocaïne (très répandue alors dans le milieu).

- Contrairement à certains témoins certifiant l’avoir vu fuir en catastrophe quelques minutes après l’accident pour préparer une stratégie de défense, Spielberg nie avoir été présent sur le tournage de la "grande scène" du film que, pourtant, il produisait. Il niera même avoir été prévenu du tournage de ce plan. La plupart des journalistes cinéma mondiaux s’aligneront sur sa version des faits: il n’a rien a voir avec l’accident. Dans la biographie (non-officielle) qu’il lui consacre, John Baxter rapporte que vingt ans après le sujet est encore bien sensible pour Spielberg. Si un journaliste aborde cette question avec lui, le réalisateur perd son flegme promotionnel pour clore sèchement l’entretien.

Steven Spielberg, acteur, dans Blues Brothers de John Landis (1981)

Au terme de plusieurs années de procédure judiciaire, l’affaire se conclut en 1987 sur un acquittement généralisé. Un accord financier est trouvé entre la Warner et les familles. Un acteur de "l'ancien Hollywood" et deux enfants asiatiques ne pèsent pas lourd face à la puissance de feu d'une major et aux futurs gains potentiels des jeunes bâtisseurs de nouveaux empires cinématographiques. A cette époque, sous leur influence, en plus de véhiculer au niveau planétaire la suprématie d'une American way of life aux apparences si cool, le cinéma devient une industrie qui compte de plus en plus lourd dans l’économie US[2]. Sous l’impulsion d’un ancien représentant syndical d’Hollywood élu président des Etats-Unis au début de la décennie, le pays entre dans une violente période libérale où l’humain devient marchandise, le travail un champ de bataille où le plus faible, le sans défense, n'a plus qu'à mourir écrasé. Ironiquement, Landis l’avait résumé quelques mois avant le drame face à des étudiants en cinéma:

"Le système de censure de l’industrie cinématographique reflète la morale de l’époque. Maintenant avec Reagan, c’est OK de massacrer des enfants, mais les seins nus sont interdits. La morale de l’époque est profondément malade."[3]

Landis n’aura pas attendu d’être blanchi au tribunal pour se refaire la cerise. Après la tournée télévisée de sa dépression post-tournage à base d'hommage "à nos chers disparus" (qui sera plus ou moins la campagne promotionelle d'un film dont la warner poursuit le tournage malgré les morts), il tourne à la rentrée 83 le clip Thriller de Michael Jackson.


Des zombies qui se vengent d’un danseur s’étant gaussé d’un mauvais film de série B en salle (on voit l’affiche d’un film de Landis sur la façade du cinéma d’où sort MJ): celui averti des antécédents tragiques du réalisateur y verra la plus glauque des mises en abyme. Le triomphe du clip de Jackson efface le déjà faible souvenir du fâcheux accident et porte Landis au sommet de sa gloire. Le réalisateur n’aura finalement pas révolutionné le cinéma, mais le clip. Le reste de sa filmographie sera un lent naufrage artistique.

Une difficile reconversion

On s’attendrait à ce type d’histoire sordide dans les cartels de l’énergie ou les arcanes de la grande finance, pas sur une production Spielberg: ce cinéaste "sensible" et "qui n'a rien perdu de son âme d’enfant" (et autres mièvreries écrites à son sujet par une critique idolâtre). Trente ans après alors que le film est un navet oublié qui n'aura accumulé "que" 30 millions de dollars de recettes, que l'industrie hollywoodienne où tout est immédiatement "formidable", "culte", "two thumbs up" et "immanquable" ne génère quasi systématiquement que du prêt-à-consommer cloné et sans âme pour multiplexes mondiaux avec la concours d'une presse publicitaire qui perpétue le mythe merveilleux de la grande famille du 7e art où tout le monde s'éclate en travaillant dur dans l'égalité de classe la plus totale, et alors que la Warner annonce un remake de Twilight zone the movie pour l'été prochain, célébrons la date anniversaire d'un drame caché, la face obscure d'une façon de penser les films, les spectateurs et le petit personnel.
*
C'est quelque part dans ces années-là que les jeunes génies d'Hollywood sont devenus de vieux cons d'abord soucieux de faire du blé. C'est quelque part à cette époque qu'ils ont perdu toute magie.


[1] Riche en peu de temps, Spielberg est alors au début de sa période la plus prolifique en tant que  producteur (Back to the future, Goonies, Gremlins…). Il créera sa major personnelle, Dreamworks, une décennie plus tard.

[2] En 1989, la chaîne HBO annule la diffusion d'une enquête sur le sujet, au motif qu'elle pourrait fâcher des partenaires commerciaux.

[3] 27 janvier 1982, American film institute

13 juillet 2012

Le choc de compétitivité dans ta gueule

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On oublie trop souvent la détresse de l'actionnaire. L'action PSA avait perdu 75% en un an.

Il fallait du vert, même éphémère, pour renouer avec la mélodie du bonheur néolibéral

PSA, ce fleuron national de l'industrie automobile géré par des manches surpayés, contrôlé à 31% par notre plus riche famille expatriée et qui a bénéficié de 4 milliards d'aides publiques en 2009, dégraisse au coeur de l'été à la surprise de personne sauf du gouvernement.

L'adoucissant lexical du patron de Peugeot, Varin, c'est "personne ne sera laissé au bout du chemin". La perspective, c'est "bon faut se casser de ce pays avec des travailleurs qui ont des droits et des syndicats ça va bien cinq minutes".  Quoiqu'il arrive, l'idée qui doit imprimer les masses sera "il faut sacrifier des sites pour muscler les survivants".

Le chiffre de la charrette est fort. Il choque jusqu'aux politiques qui parlent de "violence" et... et puis voilà.

Hier dès l'aube, les trompettes libérales sonnaient la charge de la fin des charges sur les plateaux de la TNT. Les Doze, les Godet et les Rioufol : L'ennemi ce n'est pas le patron qui crée de la richesse, mais l'employé qui l’empêche d'en créer plus car il coûte toujours trop !

Faisons comme eux. Sachons raison de l'actionnaire garder. Oublions la détresse des 8000 licenciés de PSA, et des milliers de sous-traitants supplémentaires qui vont les rejoindre au Pôle emploi (le secteur automobile a déjà supprimé 200.000 postes en 10 ans), le plan social de PSA avec son chiffre qui fait mal est l'opportunité idéale pour alimenter la propagande du "choc de compétitivité"[1]  

Il s'agit pour les libéraux sautillants tout joyeux sur les effectifs liquidés de réduire les choix mentaux des salariés sonnés à la seule logique de l'actionnaire: produire plus avec moins de gens ou produire ailleursOn te répète d'ailleurs sans cesse depuis hier que si Renault n'a pu s'en sortir qu'en produisant loin (Quand bien même Toyota construit ses Yaris ici). Terroriser ceux qui restent en attendant de les jeter à leur tour.

Ce matin sur RTLVarin remet le couvert en se déclarant,  o surprise, pour une baisse "massive" du coût du travail en France. "Pour restaurer nos marges, il y a une marge de flexibilité sur le coût du travail. Nous avons le coût du travail le plus cher en Europe et nous produisons 44% de notre production en France, donc il faut baisser les charges qui pèsent sur le travail de manière massive".


Déjà c'est faux. Ensuite comprends que dans cette course: nous ne serrons jamais assez compétitifs à moins de travailler gratuitement (ce qui est le rêve mouillé à peine caché des libéraux). Vous verrez qu'un jour les Varin de ce pays feront des procès pour manque à gagner aux familles des ouvriers qui se seront suicidés.

Rappelons que depuis 30 ans les grosses entreprises ont vu leur situation fiscale améliorée comme jamais, et tout cela pour quel résultat ? 

Varin, tu veux baisser le coût du travail ? Commence par te coller au SMIC. Tu vas passer d'1,3 million d'euros par an (+76% d’augmentation) à 1000 par mois, ça devrait être largement suffisant pour continuer à mener la boîte là où tu l'as mené avec une stratégie de merde, en bousillant la R&D et en persistant à produire des caisses dont personne ne veut. 

Et pourtant sans mobilisation salariale, ça peut passer. Des purges à 10.000 salariés, ça calme les velléités d'augmentation. Comme dit Montebourg, le pays doit se mobiliser derrière PSA[2].

Il y aurait bien des pistes pour PSA. Exiger le remboursement des subventions versées pour rien, taxer les voitures étrangères, recibler sur des produits spécifiques, développer l’innovation et l'hybride au lieu de cloner du laid et du quelconque, taxer les robots à somme égale avec les humains, inciter fiscalement à acheter Français ou, soyons antilibéraux primaires, que l'Etat rentre dans le capital de la compagnie... Mais, c'est oublier que dans les mentalités, l'ouvrier semble déjà bel et bien enterré. 

Sans la mobilisation de chacun, il sera suivi par d'autres catégories de travailleurs. La même inertie face à la même logique d'extrême rentabilité privatisée, appliquée à d'autres secteurs délocalisables, produira les mêmes effets.

Notre économie atone aura alors à résoudre l'équation absurde d'une croissance nationale portée par des consommateurs qui n'ont plus un rond. Car entre les chômeurs et les travailleurs sous-payés, on se demande bien quelle sera la tronche des voitures que l'on va pouvoir se payer ?

Peut-être que PSA, une fois la dernière usine française fermée nous présentera son plan de reconversion locale: ouvrir des succursales de crédit bancaire afin que le fauché français puisse se fournir en voitures low-cost fabriquées ailleurs, et transformer nos anciens ouvriers en vendeurs de revolving devant escroquer leur voisin pour survivre en attendant le prochain krach ?

Cette épanouissante époque, la raison centrée sur les intérêts d'une poignée, tourne en boucle et n'apprend rien de ses erreurs.

[1] et au passage aider à la promotion de la hausse programmée de la CSG.

[2] ...euh sinon qu'il aura du un peu plus concret le 25 juillet pour son plan de soutien à la filière automobile.

[Update 15.07.2012 : Juste après les aides de l'état, Philippe Varin a touché 3,25 millions d'euros en 2010. La même année, Jean-Marc Galès, directeur des marques, Guillaume Faury, directeur de la R&D, et Frédéric Saint-Geours, directeur financier, ont doublé le montant des rémunérations auxquelles ils ont droit au titre de 2010 à 1,26 million chacun.]


Illustration : La classe ouvrière va au paradis. E Olmi (1972)

12 juillet 2012

Le nom de la rose

par
François et Valérie s'aiment d'amour.
Mais, depuis les nouvelles responsabilités de François, la vie devient compliquée au palais.

Valérie supporte mal d'être une femme au foyer.
Elle erre dans le salon d'hiver, nostalgique de sa gloire passée. Euh, enfin elle erre nostalgique, soutenue dans l'épreuve par la corporation.
Jalouse de l'ambition débordante de Ségolène, l'ancienne compagne de François et la mère de ses enfants, Valérie apporte son soutien numérique au félon Forlani dans la compétition politique qui l'oppose à Ségolène en terre protestante.

Tandis que le journal de Franz a décidé de tout faire pour décrédibiliser la politique de François auprès de son lectorat gériatrique abonné pour la montre Made in China, Thomas, le fils de François, après des débuts chaotiques et comprenant le danger d'une surexposition média, préfère s'exiler loin des caméras et reprendre sa carrière d'avocat.


Mais la trahison de Valérie le ronge.
Livré à ses démons, suite à une overdose de Fanta Orange, le fils dépassé par ses émotions venge sa mère. Il se livre dans un entretien, qu'on avait dit informel, aux spadassins pipôle du journal de Franz.


En avouant déplorer que l'on "mêle vie publique et vie privée" au sommet de l'état, Thomas commet malgré lui l'erreur fatale de servir une Inception king size au rédacteur libéral qui se félicite de booster les ventes de son canard en saison creuse. 

Franz imagine déjà les futurs dossiers en abyme qui décortiqueront encore un fois le phénomène du fils médiatique qu'il a lui-même généré


Pendant ce temps à Toul et pour noyer son chagrin, Nadine, qui a accepté un CDD de videuse de truites au Cora de la ZAC, vit une passion débordante mais interdite avec Yassine, le fils du vendeur de lavabos.

Alors...

Ségolène reviendra t-elle avec François ?
Valérie va-t-elle participer à "je suis une célébrité laissez moi sortir de là" ?
Et Thomas, réussira-t-il son bras de fer pour égaler dans l'opinion la pitoyable image de Jean Sarkozy, le dauphin d'avant ?

Que dira François lors de sa prochaine intervention télévisée ?

Va-t-il devoir pousser une nouvelle gueulante dans le salon d'hiver de l'Elysée ?
Valérie pourra-t-elle s'empêcher de la live twitter ?
Franz pourra-t-il s'empêcher d'en faire sa Une, avec la photo de François un slip sur la tête ?
Et que se passe-t-il exactement le soir dans les backrooms du Cora ?
Et si ma soeur en avait est-ce qu'on l’appellerait encore Jacqueline ?

Vous le saurez en regardant le prochain épisode de "On s'en tape de vos histoires, laissez François diriger le pays bordel !".

Disponible dans le Point, et sur toutes les chaines TNT de priorité au direct.

11 juillet 2012

Sick city

par

As-tu remarqué ? La contagion se propage sur le territoire, de la ville aux campagnes. Mêmes caractéristiques : Salariés, jeunes, endettés …et malades. Après l’achat du cocon, le réassort de la déco, la monotonie d’une vie de couple concoctée à la va-vite, mais qu’il faut poursuivre pour rembourser l’emprunt et sans cesse améliorer ce standing inaccessible avec un salaire seul, chacun affiche sa maladie.

A la recherche de nouvelles addictions, car malgré leurs efforts ils ne peuvent consommer tout le temps, ils s'autorisent de nouveaux domaines de compétition, à la recherche de la nouvelle tare.  

Les multirécidivistes de la pathologie à la con traquent le moindre pet de travers, filant en expéditions familiales chez le docteur à la moindre fièvre. Sur les forums internet, ils s’enivrent de termes alambiqués pour désigner ce cor au pied qui pourrait les faire passer pas loin de l’amputation et s’autodiagnostiquent de nouveaux maux. Fiers en cocktail presque parfait, entre l'acra en vérine et le cup cake au lactose, ils étalent sur la table Ikea les diagnostics contradictoires des experts à varier chez lesquels ils papillonnent, à la recherche d'un peu d'attention, sur recommandations croisées de la confrérie des médecins non conventionnésChacun y va de sa "maladie orpheline", de son "kiné qu'est super", de son traitement tibétain sans frais et de la littérature surtaxée allant avec. Les hypocondriaques compulsifs les plus ambitieux visent le Graal de la pathologie auto-immune qui fera enfin d’eux les stars du mois sur facebook, ce réseau des copains éclopés d'avant où, entre la complainte du salarié et sa joie d'avoir acheté un gode canard à 30% chez SoldesEnGros, celui n’affichant qu’une "bonne vieille crève" semestrielle passe désormais pour un ringard sans problème. Quelques parents, survitaminés de l'angoisse, incarcérés volontaires dans la prison de leur santé, transmettent à leur progéniture ce souci pointu d'un développement durable de leur mauvaise condition. Avant même de leur apprendre à écrire ou parler, ils leur dégotent des allergies alimentaires à tout, sauf aux saloperies sucrées et aux intraveineuses de télé, ou des pathologies toujours plus rares, mais sans pathologie, qui confirment qu'il s'agit bien de gamins extraordinaires, même si abrutis. 

Certains rustres sans imagination se contentent d’une simple dépression, mais détaillée heure par heure via SMS. Les mots "inhumain", "patron" et "stress" y reviennent souvent. Mais, il n’est pas question de tenir tête au système d'oppression dont ils sont le rouage capital ou encore de faire entendre sa colère sur le plateau du call center. Non. Sur ces lieux d'impératifs tombés d'une direction externalisée les infantilisant, un univers claquemuré de récriminations chiées à la gueule dans une novlangue corporate, d'empathie interdite, d'humiliations assénées par les chefs et d'humiliations qu'ils assènent à leur tour à moins chef qu'eux, dans cet insidieux enfer à moquette et machine à café dont ils dépendent pour continuer à accumuler : ils se taisent et"prennent sur eux" comme ils disent.

Le piège de l’accession au standing à crédit les a fait basculer dans un équilibre de la petite terreur au travail, un monde sec de maltraitance sourde, sans lisibilité claire de qui est produit, sans finalité autre que celle de se faire virer un jour. Ils ne contrôlent rien à l'extérieur, en reviennent alors au corps et là encore redeviennent les jouets des marchands du temple leur facturant consultations, concepts et nouvelles drogues.

La plupart ne sont pas malades, pas comme ils le croient. Ils désirent d'abord du soin. La maladie du jeune salarié, qui a tout ce dont il rêvait pour aller bien (boulot, maison, voiture et déco), est le déguisement autorisé de sa détresse. En plus d'attirer la compassion dans une société aride calibrée sur le générique, il se distingue, devient unique. Et puis, il s’autorise quelques arrêts maladies pour enfin accéder à ces brefs moments de vie à soi, hors de la vie normée. Le remède est parfois si simple : il suffit de dire non, d’arrêter de se faire marcher sur les pieds, de faire peur s'il le faut, de gueuler un bon coup, mais pas face à sa glace ou sur le réseau. 

Dans la mêlée des patraques en toc qui portent leurs symptômes comme un tee shirt personnalisé, on ne distingue que trop tard les authentiques désespérés. Certains sautent par la fenêtre. On en parle au JT, ça fait un peu de conversation avant Doctor House et Private Practice.

Dopés à la société de l'accumulation, formatés à la soumission, aujourd'hui sommés d'être encore plus compétitifs : ils chutent de plus en plus autour de moi, plus ou moins malades et toujours plus malheureux. Ils ont entre 20 et 50 ans. A les écouter, ils en paraissent 70. 

Trop vite vieillis par une vie passée à passer à côté de la vie. 
Illustration : la clinique de l'amour, A.De Penguern (2012)

4 juillet 2012

Tant que Strip-Tease ne te déshabille pas, ça va

par
Blasphème. J'ai raté l'épisode du grand come back estival de la série documentaire Strip Tease, objet d'un joli buzz.

Zutalor. A peine notai-je sur mon Télé Poche, la similarité du pitch de l'épisode du soir avec celui de la téléréalité de W9, La belle et ses princes (presque) charmants, que je m'en retournai à lecture de mon Zola.

OK j'avoue, ça fait un paquet de temps que mon opinion est arrêtée sur cette daube. Strip-Tease pas Zola.

Première émission du genre[1], d'abord encensée par les lecteurs de Télérama, la chose a progressivement infusé le PAF jusqu'à inspirer les docu-cochoncetés bon marché métastasant sur la TNT qui mêlent sur le même schéma: voyeurisme, quête du trash et mépris de classe. Je ne peux donc qu'aller dans le sens de Bruno Roger Petit lorsqu'il écrit au sujet du "grand retour" de l'émission "culte" sur le service public :

"De la téléréalité de classe pour CSP+ en quête de voyeurisme, de la trash TV pour bourgeoisie en mal de domination sociale". J'aurais remplacé "bourgeoisie" par "classe moyenne terrorisée par son déclassement", mais sinon c'est parfait. 

Le plus choquant n'est pas l'émission (m'en faut plus honnêtement), mais ses spectateurs. Spécialement ceux qui trouvent Strip-Tease "génial" et crachent à gros glaviots sur les téléréalités de TF1. Ces deux produits répondent non seulement de la même catégorie, mais usent des mêmes méthodes de fabrication : "Bons clients" castés, canevas précis soumis à validation de "la prod" où il s’agira de faire sortir des spécimens filmés exactement ce que l’on veut qu’ils donnent, tournages inexorables permettant un montage à charge avec le petit plus qu’un "bon client à fort potentiel" peut donner. Je ne leur jette par la pierre: le PAF est ainsi fait que l'on peut difficilement faire autrement.

Seule différence de Strip-Tease avec ses succédanés: l'absence de voix-off. Cette marque de fabrique contribue à flatter le spectateur, trop content d’être intelligent (Ouah ! Ce héros des temps modernes tient 10 minutes sans qu'on lui dise rien !). Ce mutisme serait le gage d’une plus grande authenticité que Confessions Intimes ou l'Amour est dans le pré. C'est oublié un peu vite le plus efficace des commentaires: le montage.

Mêmes procédés, mêmes méthodes, même fond que la trash tv pour la même conclusion: placer le spectateur au-dessus de la mêlée. Strip-Tease c'est "trop bien", tant qu'on est pas le sujet filmé. Avec la même technique, en y mettant le temps, on sortira sans souci un sujet tout aussi "culte" sur n'importe lequel des fans de l'émission. La confusion commence là. Strip-Tease ne vous "déshabille" pas, elle déshabille l'autre: c'est toujours plus sympa.

Même si dans la profusion des réalisateurs qui sont passés par-là, tous les reportages ne se valent pas et qu'il y'en a qui sortent du lot, je m'étonne encore (optimiste que je suis) de l'intérêt porté à une émission qui serait le top du témoignage sociologique, limite anthropologique. Le délire a même contaminé le créateur du machin se prenant dans les colonnes du Monde pour le Jean Rouch de "l'an 3000"

"Ce n’est pas de la téléréalité, c’est de la télé qui filme la réalité" répond Erwann Gaucher à Bruno Roger Petit. La télé qui filme la réalité ? Cool. Ça marche aussi pour le JT Erwann ? Bah oui, parce que ça marche pour tout en fait. La télé filme par définition. La "téléréalité" n'existe pas plus que n'existe la réalité à la télé. Restent les strates de préparation et les maigres interstices de spontanéité échappant à ce que l'on veut nous montrer. 

Les seuls indicateurs de réalité que nous offrent Strip-Tease et ses variations TNTesques, c'est le degré d'accoutumance au moche de ses spectateurs, et l'aptitude progressive de l'audience à jouir du spectacle de l'autre (et à le revendiquer dans ce cas précis).

La réalité française ? C'est paradoxalement à la fiction de nous la donner, on y trouvera probablement plus de force dans le reflet de ce que nous devenons. Mais bizarrement, les fictions sur les classes populaires (comme les classes moyennes) sont denrée rare dans la création hexagonale. Vrai que ça coûte un peu plus cher à faire, que ça demande du talent et que le blockbuster  débile pour centre co' ça marche mieux. Alors, on opte pour "le vrai" d'un Strip-tease (c'est-à-dire le vil, le niais ou le crasseux sinon c'est pas cocasse coco) et ainsi le service public contribue à propager l'idée en mode lol et "culte" que peuple et pauvres cons sont des mots qui vont bien ensemble.

Article connexe : 

Illustration : F for fake, O.Welles (1974)

Strip Tease. Le Confessions Intimes des gens biens dans 2012 les barnums de l'info

[1] Des émissions comme "Perdu de vue" ou "psy show" qui ont aussi débuté au milieu des années 80, au même moment sur les chaines privées ont en revanche subi les bombardements critiques des bien-pensants. Alors qu'à bien y regarder, elles apportaient un "plus" même minime aux personnages filmés : elles tentaient de résoudre leur problème.

[2] Emission mettant en scène une mannequin courtisée par des types castés pour leur physique, disons particulier, et leur approche, en territoire inconnu du genre féminin. L’argument avancé est de jouer les entremetteurs et de rassembler les coeurs. Le but est évidemment de rire du plus moche et du plus con que soi (et les candidats sont systématiquement mis en scène ainsi).

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