31 mars 2009

martyrs

par

Ta tête est moins connue que l'entreprise tentaculaire dont tu es le grand patron. Tu as beau faire parti des plus belles fortunes du monde, tu ne parades qu'au milieu de tes semblables, en clubs discrets, dans des zones résidentielles fortifiées ou dans des conventions pompeuses ultra sécurisées.

On connaît mal ton nom ou on ne le connaît que trop tard, quand tu as liquidé la filiale, que le scandale est révélé ou après avoir touché ton parachute doré. Où habites-tu ? On ne sait pas trop. Tu voyages tout le temps, fiscalement c'est plus performant.

Tu tiens à ton anonymat auprès des petites gens. Ils n'ont pas le bagage mental et comptable pour appréhender tes réalités et les responsabilités auxquelles tu dois te frotter
:

"Où vais-je délocaliser pour libérer mon développement ?", "Qui vais-je dégraisser en premier pour optimiser le rendement ?", "Comment leur faire accepter de travailler plus pour le même salaire durant les deux ans me restant (à toucher des subventions) avant de les jeter ?".


Méchants, aigris et jaloux de ton argent sont les petites gens aux médiocres réalités et aux risibles ambitions.

Tes amis, les autres grands patrons,
eux te comprennent et ne te jugent pas.

Tu veux juste qu'ils t'envient. C'est pour cela que tu accumules autant de pognon.


Comme des gosses jouant à celui qui a la plus grosse quéquette dans les chiottes du bahut ou les mêmes, trente ans plus tard, jouant à celui qui a le plus gros Iphone devant la machine à café, toi et tes amis jouez à vous impressionner mais dans une dimension sociale stratosphérique pour le commun de vos esclaves.

La belle montre à 100 smic ? C'est un minimum vital, le pin's d'entrée.
Un Warhol dans un des living-rooms de ton ami le banquier ? La semaine suivante tu en punaiseras deux au mur de tes chiottes en marbre en espérant que ça le fera bien ch... ! Le penthouse de 650 m2 de ton pote magnat de la communication avec vue plongeante sur Central Park, assorti de ses 24 larbins ? Pas de problème, c'est toi qui édites le who's who du BTP et des préfectures. Tu bétonneras un méga baba au rhum en pleine réserve naturelle WWF ! Ton poteau chairman d'une chaîne mondialisée s'est dégotée une actrice mexicaine qui, après le turbin, se fait remuer dans une même transe masturbatoire un demi million d'esseulés, pas de souci. Même avec ta sale gueule et ton charisme d'asperge, ton pouvoir les fera fondre et tu peux prétendre à récupérer les déchets recyclés de Mick Jagger ! Ah non mince... pas tous. Il y en a une qui est encore occupée pour trois ans.
Tu bénéficies de la bienveillance de gouvernements que toi, tes amis, vos aïeux, infiltrèrent. Tu peux compter sur eux pour défendre tes intérêts. Et pas d'imprévu. Tu as des veilleurs à l'assemblée. Ils te remontent ces projets législatifs pouvant s'avérer problématiques pour toi. Dans ce cas, ils te confectionnent un amendement personnalisé (mais où ton nom n'apparaît pas) qui, malgré le changement, ne changera rien pour toi ou , mieux, arrangera tes bidons.
Pour l'instant ton train de vie va croissant, au rythme exponentiel de 200% par an pour certains de tes amis. Pas pour toi. Toi tu es vieille France, t'as le sens du correc' et de la justice, tu te contentes de 2300 Smic par an, hors avantages et options. Tu n'as qu'une vague idée du nombre de siècles d'esclavage moyen que cela représente. Tu aimes à le répéter au club de l'économie face à un Jean-Marc Sylvestre conquis : Tu es un entrepreneur, tu risques et tu emportes dans ton dynamisme un organigramme hiérarchique soumis à ta loi, cela justifie à tes yeux une rémunération indécente.

Mais attention, que l'on ne te cherche pas trop fiscalement sinon tu vas t'en aller faire le bien des salariés dans un autre pays. Même si là-bas personne ne t'attend, personne au gouvernement ne le dira.
Au fond, tu es pour la paix sociale. Chacun chez soi et les marges seront bien gardées, les riches sont riches, les pauvres sont pauvres. Pour maintenir ces derniers dociles, tu leur fais croire au mérite, à la morale et au travail bien fait. Autant de notions que tu te gardes bien d'appliquer pour toi.

C'est plus fort que toi : Tu trompes toujours ton monde. Vendant à tour de win attitude, du projet d'avenir, de l'esprit d'entreprise et du travail collectif alors que tu es dans le court terme, tu ne sais que licencier ou employer au rabais pour récolter sans te fatiguer un pactole à partager entre une poignée d'initiés.

Depuis six mois quand même, même pour toi, c'est le merdier. Ton cœur de cible, la classe moyenne, commence à te défier. Tu dois faire profil bas, réduire l'ostentatoire et pas te faire chopper en flag' les deux bras dans la jarre à billets.

Financièrement, tu as un peu perdu avec cette crise mais tes amis sont dans le même cas donc ça va. Et puis, tu te refais une santé en rachetant à prix cassé les titres vendus en catastrophe par ces petits actionnaires qui, comme toujours, gobèrent tes discours.

Ce week-end
, tu as eu une petite frayeur. Ton pote président a fait semblant de se fâcher. Pour calmer la populace, le félon a commandité un décret interdisant la distribution de stock-options et d'actions gratuites et encadrant les bonus. Un an, à renégocier quand tout retournera à la normale.
"Misère" as-tu pensé. Les pauvres "dirigeants et mandataires sociaux ayant bénéficié d'aides publiques, qui continueront à licencier sans explication ou qui n'auront pas un comportement éthique" vont morfler.

La perspective
de tes prochaines vacances de Pâques au spa des thunés de Gstaad à regarder de haut ces 9 blaireaux, jakuzzés malchanceux, être les victimes des quolibets de leurs camarades de la baronnie des multinationales se frappant les cuisses en meuglant " - Ils z'ont pas eu leur bonus ! ils z'ont pas eu leur bonus !" te fait déjà te gondoler de rire.
Les cons, ils ont intérêt à trouver une bonne excuse d'ici là.

Vraiment la vie est injuste.

Sauf pour toi.


Illustration : affiche de L'argent des autres, film de Christian de Challonge (1978)

30 mars 2009

Dupont Lajoie 3000

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Ce week-end dans les médias, la polémique sur l’interdiction de la chanson d’Orel San, sale p*te, aura fait feuilleton. Le chanteur réussissant l'exploit, avec un morceau vieux de deux ans, de s'attirer les foudres conjointes de l'opposition et du gouvernement. Ce dernier, par la voix de sa secrétaire d'état à la solidarité (pour la déconne) en appelant même "à la responsabilité des dirigeants des sites de vidéo en ligne" pour qu'ils retirent la vidéo. (Nadine Morano étant en week-end Smart Box, thalasso au Touquet, ne pouvait s'occuper elle-même de cette opportune communication.)

Je ne connais pas le chanteur, je n'ai pas écouté son opus et je m'en contre-fous. Je n'entamerai pas le débat de la défense des œuvres de fiction ici, ce serait abdiquer à la logique répressive des donneurs de leçons et dérouler le tapis rouge aux sempiternelles conclusions de ce genre de polémiques : La censure des diffuseurs et, à terme, l'auto-censure des créateurs.

Penchons-nous plutôt sur le traitement de l'information ce week-end et comparons cet embrayage systématique des roboches [1] dès lors qu'il est question d'incitation à la violence ou à la haine raciale, en l'opposant à leur mutisme dès que la sauvagerie et le racisme sont avérés à deux pas de leurs rédactions.

En effet ce week-end, il fallait bien scruter la rubrique faits-divers pour découvrir que s'était joué en plein Montreuil sous bois[2], un remake grandeur nature du film Dupont Lajoie.

Résumé de l'épisode : Mi-mars, un marocain en visite en France se fait tabasser au grand jour par un collectif de riverains au prétexte qu’il ressemblait à un pédophile sévissant dans le quartier (et dont apprendra à l'occasion de son arrestation qu'il est algérien : "Ah mais vous savez monsieur l'agent ces bikos y sont tous pareils !").

Dans un entrefilet radiophonique entre le tiercé et une éditorial dithyrambique sur le popularité du président signé Catherine Nay, j'apprends que l’innocent a la mâchoire pétée, la tête défoncée, qu'il est dans un état grave et qu'il en gardera des séquelles. Pas les rédactions.

Quelques lignes factuelles
dans le Parisien, un paragraphe dans Le Point, rien sur Tf1.

RTL parle d’une "tragique erreur" : L’homme à moitié tué n’était pas "le violeur des stades". Soyons soulagés : Dès que nos amis qui nous "veulent du bien" auront trouvé le bon marocain, ils pourront recommencer.

Bien sur, pour la forme, un des Charles Bronson a été arrété. Quant aux autres, on sait juste qu'ils participèrent. Qui étaient ils ? Ton voisin, le mien, de bons français probablement horrifiés par la chanson d'Orel San.

Conclusion provisoire : En France en mars 2009, mieux vaut être une femme qui, si une chanson d'un rappeur inconnu est prise au premier degrè par un mari docile basculant sans prévenir dans l'extrême-violence, risque (peut-être, on ne sait jamais, mieux vaut interdire toute forme de musique) de se faire bastonner, que d'être un homme un peu trop typé maghrébin et, sur cette base, de se voir péter la gueule en toute décontraction par des citoyens remontés.

[1] Roboche : Journaliste français cajolant les opinions gouvernemantels et chuintant ses fins de phrases.
[2] Note pour les provinciaux : Montreuil est limitrophe de Paris.

25 mars 2009

On avait dit pas les enfants !

par
On avait dit pas les enfants !
Odyssée générationnelle en F4 signée Seb Musset. Réglage : C'est la fête, thermostat 7.


* * *

- "Mais dépêche-toi Bertrand ! Quel boulet !"

Aux ordres de Loute, Bertrand accéléra le pas. Pas facile avec le porte bébé et son fardeau en combi qu'il ne fallait surtout pas réveiller au risque de subir une double peine : Les hurlements de la petite et la colère de Loute. Bertrand aurait bien passé son samedi à regarder un match de foot, boire des bières ou mater décolletés et strings débordant du jean dans un bar à foot en buvant des bières mais, sa précieuse Loute en décida autrement.

Cet après-midi, c’était goûter chez Magali pour les 2 ans de son mini-moi, la potelée Stella.

Bertrand se réconfortait comme il pouvait, levant les yeux vers les façades du quartier de barres où ses anciens camarades d’école de commerce achetèrent un F4 il y a deux ans. Il lui semblait que, depuis, les panneaux
A vendre s’y multipliaient.

La déprime des autres aide à supporter la médiocrité de sa propre vie.
Bertrand se remémorait Chou et son achat : Cet appartement financé pour moitié par une avance de papa et, pour l'autre, par un crédit sur 20 ans. Belle affaire dont l’acte de vente fut signé au plus haut de la côte du quartier. La transaction bouclée, par spams et SMS spasmodiques, Mag et Chou s'étaient vantés d'un rabais fiscal que le futur président, une fois élu, leur confectionnerait. Rétroactivement, rien ne se passa comme prévu. A quelques jours près, ils n’eurent rien. Pour eux, le seul prix fluctuant fut celui à taux variable de leurs mensualités. Cette déconvenue permettait d'estomper chez Bertrand, ayant lui-même perdu 20% sur la valeur de son deux pièces en antépénultième périphérie, le poids d’un après-midi chez ses copains les blaireaux.

Au début des années 2000, la mairie avait abandonné ses prérogatives pour faire de cette zone de logements sociaux, une terre de spéculation pour des particuliers euphoriques à qui les banques prêtaient alors les yeux fermés. Ainsi explosa la valeur de ce qui devait être loué à tarif plafonné. Début 2009, la machine était cassée. Les prix des appartements se dégradaient désormais plus vite que la cage d'escalier vétuste et mal odorante de la tour B que Bertrand et Loute, faute d'ascenseur en marche, empruntait pour accéder au 4e étage.

La porte 7 s’ouvrit laissant échapper l'agitation enfantine
de La Party organisée par une Magali au point extatique de la surexcitation. Loute présenta sa dîme, deuxième étape après le RSVP du carton d'invitation, nécessaire pour franchir la ligne du club privé. C'était un présent dont Magali n'eut pas à palper l'emballage bien longtemps pour deviner qu'il s'agissait d'un "- Super porte bébé Corolle rose à bretelles ajustables pour que Stella joue au papa !" puisque c’est elle qui avait dressé, par échange de courriels, la liste des offrandes à déposer en ce samedi, au pied de sa fille-reine.

Magali guida Bertrand et Loute vers le canapé des parents immobilisés
par leurs enfants. Esquivant les cavalcades de gamins, enjambant les tapis d’éveil et leurs poupons baveux, Loute, Bertrand et la petite Ambrosia en bandoulière pénétrèrent dans le saint des saints sous les regards amorphes des jeunes adultes compactés, à la mode sardine, dans le sofa poids lourd traitement vachette, à sangles croisées et mousse mémoire. Qui serrant son gobelet de Champomy, qui piquant au cure-dent de plastoc son olive hard-discountée sur son porte-cornichons en imitation Vuitton, le tout sur fond de rugby diffusé live sur un grand écran que personne ne regardait.

"- Bordel c’est qui tous ces cons ?" pensa Bertrand tout en lançant dans un réflexe de télé-prospecteur à la brochette de coincés un "- Bonjour, moi c’est Bertrand !" L'homme, emmêlé dans le porte bébé, peinait à se dépêtrer de son Ambrosia et suscitait les gloussements de l'assistance. Loute, elle, scrutait des plinthes aux frises, les dernières gadgets décoratifs de l’appartement refait. S'inscrivait en surimpression dans son regard terminatoresque la mise à jour des prix des plus récents catalogues Ikebas, Leroy-Malin et Bricodemencia.

Magali fit remarquer qu’elle avait acheté un nouveau jeu de chaises exceptionnelles. Et Loute de rétorquer : - "Philippe Starck sur "ventes-privées" ? Moi aussi je les ai."

Accumulant les vestes des invités, Magali fulminait en secret. Déjà
doublée par sa soeur, maintenant Loute ! Mais qu’elle était cette époque barbare où les valeurs d'exclusivité commerciale et d'élitisme de clientèle se perdaient !

- "Bon bah, je vais porter vos affaires dans LA CHAMBRE D’AMI." Lança Magali, prenant soin d’appuyer sur cette dernière partie de phrase qui faisait la différence avec le maigre 50m2, classé pourri, de Loute et Bertrand pour lequel le couple s'était seulement endetté à 22%.

Chambre d’ami ou pas, celui qui aurait croisé le regard sombre de Magali dans le couloir aurait saisi que la prochaine urgence pour elle et Chou, était ici de tout refaire. Motif : Profond ennui.
Ne prêtant pas attention aux deux marmots en train de se disputer à coup de pelle un decepticon dans le coffre à jouets, Loute acheva son scannage panoramique du salon / salle à manger, par un : - "Tu as acheté le kit birthday avec les cotillons et les sifflets. Ca c'est une bonne idée ! 9.90, c'est vraiment pas cher."

Bertrand eut le pressentiment qu'aujourd'hui, pas plus qu'au précédent goûter pour les "un an" du fils de Pierre, ne seraient abordées les questions de fond relatives à la restructuration de l'économie de marché et aux nouvelles perspectives géopolitiques qu'initiait le récent cataclysme économique mondial.

- "Tiens Bert', au lieu de rêvasser passe-moi un Pépito."


Tandis qu’un des trentenaires parmi les semi-assoupis
donnait le biberon au petit dernier sous le regard inquisiteur de sa Margot de PACS lui aboyant un "- J'espère que cette fois t’as mis la bonne tétine !" à euthanasier la libido du gringalet pour le prochain semestre, Bertrand brisa la glace :

- "Tiens, vous aussi vous avez l'intégrale de "Friends" ?" Chou, entrain de décorer la pièce montée pour Stella, n'était pas peu fier.

- "Ouais c'est l'édition 2003, avec le coffret série limitée en forme de Central Perk. Je l'ai acheté à -50% sur "prixmassacré.com"."

Matthieu, programmateur
action script, dont tout le monde jusqu'à sa femme ignorait le nom, se lança :

- "Mon beau-frère a le même."


Et sa Julie de le rectifier sur le champ d'un sévère :

- "Mais dit pas n'importe quoi ! Eux y z'ont l'édition finale. Dans le coffret
Central Perk, y a pas les 10 saisons. Y en a que 9".

Dans le fourreau cartonné imitation immeuble américain, lui-même encastré dans l'unique rayon de la bibliothèque entre un dvd des yeux dans les bleus et un trivial Pursuit, venaient se ranger les neufs premières saisons de la série culte qui avait bercé les jeunes années de la génération des récents parents. Les péripéties socio-conjugales des protagonistes de la série n'étaient pas pour rien dans le quotidien des couples présents, elles contribuèrent à désinhiber l'auditoire féminin alors qu'elles émasculaient progressivement ses hommes de main, les rétrogradant au statut d'animaux de compagnie.

Pour l'anniversaire de Mag, Chou lui avait acheté la saison 10.
Celle où les mâles, urbains convaincus, après s'être fait baladés pendant neuf interminables années au gré des conditions indiscutables d'indépendance de leurs belles, de leurs pulsions sexuelles, de leurs multiples écarts de coucherie là où eux avaient un impératif d'abstinence, de leurs plans de carrières et, la trentaine entamée, de leurs envies de mariage à satisfaire sur le champ, quittaient enfin l'appartement à la colocation idéalisée, traînant les poussettes d'enfants qu'ils s'étaient fait faire dans le dos vers ces sombres pavillons de banlieues qu'ils payeraient en 20 ans à la sueur de jobs peu reluisants pour leurs poufs obsolescentes.

Au sortir d'une décennie de ce régime télévisé, les jeunes garçons déjà déstabilisés par une conjoncture marécageuse et un déficit de testostérones pour cause d'excès de Mac-Daube n’avaient que deux options : Se maquer rapidement avec la première venue issue d'une catégorie socio-professionnelle leur permettant de se maintenir au niveau de vie de leurs parents ou bien, pour les plus courageux, devenir pédés.

Avec les années, et fort de son expérience avec Loute
qui se résumait au marathon continu d’un centre co' à l'autre afin de rester dans les critères du socialement intégré, Bertrand enviait presque ses collègues d'open-space, hétéros ayant plaqué femme et parfois enfants, devenus homos pour ne pas rester fiottes.

La jeune épouse du tertiaire, imbue et éduquée, ne vivant que pour la thune et les apparences, fondue au marché et au job qui tue, était le calvaire du jeune mâle occidental. La bonne copine faite épouse à la va-vite pour calmer les parents et se payer un appartement était un concept qui avait eu le vent en poupe ces dernières années mais dont maintenant les Matthieu, Bertrand et autres Chou payaient les frais. Obligation quasi contractuelle leur était faite de se soumettre aux désirs matériels, ludiques et comportementaux de leurs épouses et, par ricochet, de se soumettre en continu à ces boulots pas géniaux, histoire de ramener ce blé qui faisait toujours défaut pour s'acheter encore plus.

Après
Friends, les couples, plus mûrs, étaient maintenant de fidèles adeptes de nouvelles séries américaines : CSI, Dr House ou Cold Case. Les couples, dont la moitié n'ouvrait pas un livre de l'année, parlaient de "qualité de scénario" pour expliquer leur addiction à ces séries. Leurs héros y étaient des caractères uniques, voire excentriques, avec des métiers à responsabilités clairement définissables où ils excellaient, soit en indépendants, soit en envoyant ouvertement balader des supérieurs dépassés.

Bertrand n'était pas dupe,
il voyait dans ce modèle professionnel utopique la principale raison du succès de ces shows auprès de spectateurs qui, le reste de leurs journées salariées enduraient l'inverse. Lui comme les blaireaux sur canapé végétaient dans des jobs ennuyeux dont ils n'avaient qu'une vague idée de la finalité et dont l'intérêt était souvent inversement proportionnel aux règles auxquelles ils devaient tous se plier, en camouflant originalité et libre-arbitre, sous peine d'être remplacés dans la seconde par une hiérarchie intransigeante.

- "Bert' tu veux du baba au rhum, de la tarte tatin, un opéra, du vacherin, du sorbet vodka-citron, un Kougloff, du gateau au yoghourt ou de la salade de fruits ? "

Magali, elle, nageait en plein bonheur,
se délectant de servir selon leurs souhaits des invités submergés par l'offre pâtissière. Ces réceptions offrant à Magali l'occasion d'entasser 20 personnes dans le 70m2 et, à chaque petite assiette du service en porcelaine offert par belle-maman de remplir sa fonction, étaient de ces moments trop rares où la jeune femme ne simulait pas l'orgasme.

- "J’arrête pas depuis une semaine !
" Lança la jeune mère qui, comme sa mère et sa grand-mère avant elle, aimait avant tout qu'on la plaigne.- "Viens souffler tes gâteaux Stella !"

Pour la petite, n'ayant à deux ans qu'une idée floue de ce concept d'adulte grabataire qu'est l'anniversaire, il n'était pas évident de trouver la force de venir souffler ses bougies. D'autant qu'elle était tranquillement entrain de trainer dans le couloir la petite Jessie par les cheveux comme elle avait vu faire dans Dexter, la série qui faisait aimer les serial-killers.

Magali se tourna vers Loute :
- "Elle est toute excitée. C’est son deuxième goûter ! Hier on en a fait un chez maman parce que ma sœur ne pouvait pas venir dimanche. Et on remet ça demain, en famille !" Rajouta l'hôte avec une pointe de snobisme. Et de poursuivre, plus bas de peur que sa fille ne la prenne en défaut : "- On a du lui acheter d'autres cadeaux pour demain, histoire que ça fasse pas minable".

Et oui, Bertrand avait bien entendu : Le lendemain, dans le même appartement, sous couvert de nouveaux invités, le cérémonial recommencerait.

Un instant, il eut envie de demander par simple logique
: "- Pourquoi ne pas avoir fait un seul goûter d'anniversaire samedi, réunissant tout le monde ?" Mais il se retint. Dans ce genre d'environnement plus policé qu'une talk-show politique d'Arlette Chabot, tout lanceur de polémique (qu'elle soit immobilière ou relative à la mauvaise éducation des enfants) s'autocensure de peur d'être exclu du cercle des amis pour la vie.

De logique dans cet univers où l'on ne retient du monde que les additions, il n'en restait que deux, complémentaires :
Celle de la représentation et celle de l'horreur du vide.Ce goûter à la décoration soignée, avec ses alibis de bonnes intentions, sa tonne de cadeaux inutiles qui à peine déballés finiront comme les autres dans les coffres en plastique Ikebas désormais si nombreux que Chou et Magali songeaient sérieusement à acheter plus grand pour mieux les ranger, n'était que la deuxième étape d'un week-end entièrement dédié à la célébration d'une gamine sachant à peine parler et dont Bertrand pouvait pronostiquer que ses parents ne réussiraient qu'une chose avec elle : Générer chez l'innocente, dès son plus jeune âge, un insatiable besoin de posséder.

- "Vraiment vous la gâtez trop ! Stella a déjà eu trop de cadeaux ! Des vêtements de sa Mamy, un tableau noir pour jouer à la maîtresse et une maison des elfes que je lui ai acheté à –20% chez Tartine et Mongola avec mes chèques cadeaux de chez Bouiboui mobile. Et maintenant tout ça ! Dis merci ma Stella !"

Magali se rendit enfin compte que Stella n'était plus dans la pièce depuis un moment.

Assis au bord de l'abondance, sur le pouf Art Déco. Berçant d'une main son Ambrosia, avec sa part de gâteau au yoghourt dans l'autre, Bertrand fixait dubitatif cet univers claquemuré aux désirs catalogués. Alternativement matérialiste et jaloux, conscient de rien et naïf sur tout, c'était un monde d'intérieurs surchauffés et meublés jusqu'à la gerbe, confortables à étouffer et dont le jeune homme, qui n'était plus si jeune, se rendait compte trop tard qu'il lui serait désormais compliqué de s'en extraire sans douleur. Pour eux, lui et ses amis les blaireaux, Bertrand eut la funeste vision de lendemains douloureux. Qu'allaient-ils devenir dans la société de la pénurie qui se profilait ?

Eux qui n'appréhendaient du monde que ce qu'ils pouvaient en consommer.

Des plus hautes sphères bancaires aux concepteurs trentenaires de parades d'anniversaire, ce n'était pas tant le capitalisme qu'il fallait moraliser que ses soldats fanatisés.

Comme cela faisait dix minutes qu'il ne disait rien, histoire de ne pas passer pour un hérétique, Bertrand, pas sportif pour un sou, alla se servir un godet de Champomy en demandant à Chou :


- "Et ce match de rugby on en est où ?"


* * *

P.S : Parce que cela a un petit rapport...






22 mars 2009

la contestation et les stationnés

par
Depuis l'entreprise de démolition de l'image de Domota au lendemain de la victoire de sa mobilisation en Guadeloupe, rien de nouveau dans le domaine du mépris de la grogne sociale par notre droite métropolitaine prise de réflexes pavloviens à l'évocation des mots "grève" et "syndicat".
Le 19 mars dernier. Au matin de la journée d'action nationale contre la politique sociale et fiscale du gouvernement, avant même que Le Figaro nous ponde sa Une en triptyque démagogue (surenchère syndicale, exception française des manifestations et violence de la CGT), à ma surprise, les premiers à dégainer les arguments anti-manifestation furent Ben et Martin deux amis étudiants pas réputés pour voter à droite.

Se basant sur
un article d'actu-chômage, mes amis les rebelles se déclarèrent "pas emballés" pour se joindre à la fête "parce que c'est pas une grève de plus qui va changer les choses" puisque maintenant "il faut en passer directement à l’étape supérieure, la seule vraiment constructive : La grève générale reconductible."
Il ne faudrait donc pas faire grève au prétexte qu’il faut plus de grève ?

- Ouais, les syndicats ici c'est n'importe quoi, c'est à se demander s'ils veulent changer les choses ! Me rétorqua Ben, le plus vénère.

Je tentais de faire comprendre à mes jeunes amis qu'avant d'avoir "la Guadeloupe à Paris", il leur restait à convaincre les plus coriaces d'entre les français, les durs de durs , et au passage les plus nombreux : Les extrémistes ultra-modérés de la classe moyenne incrédule. Ce jeudi, ils se terraient encore chez eux, apeurés par les perturbations causées par la gangrène syndicaliste, à regarder le gendarme télévisé de 13h leur faisant, pour la seconde fois de l'année, le journal des trains arrivant à l’heure.
Pour que ça bouge, pas de secret : A chaque opportunité, faut se bouger ! Histoire d'être...comment dire...nombreux.

Bref, jeudi matin, sur plusieurs sites internet et dans la bouche de mes deux copains, le discours était le même que celui de Catherine Ney sur
Europe 1 : La grève ça sert à rien, c’est inutile et les syndicats c’est rien que des pourris.
Mes amis, c'est pas d'hier que les chefs de la contestation légale pensent en gestionnaires et pas en révolutionnaires. A moi aussi, la baronnie syndicale des quinquas pépères ayant leur rond de serviette sur les plateaux télés ne m'évoque que des images de ventres repus, de tapes dans le dos, de blagues salasses échangées dans la fumée de Montecristo après une bonne ripaille, dans l'arrière-salle d'un deux étoiles discret où, sur un coin de nappe, furent calculés au stylo à bille estampillé Révolution marque déposée, les opaques subsides à se partager cette année.


Vous savez (vous me le répétez à longueur de journée) qu'il ne faut pas croire le journal télévisé.

Le mouvement de jeudi dernier ne s'arrêtait pas aux interviews de ces barons arrivés en berlines blindées pour la photo 10 minutes avant le défilé avant d'en repartir 3 mètres plus loin, auréolés des chiffres de la forte mobilisation nationale. La protestation ne se limitait pas non plus au panorama des défilés ordonnés des organisations accréditées avec tee-shirts réglementaires, slogans autorisés et ballons de couleur pour les reconnaître, filmés d'assez loin pour qu'aucune revendication non-homologuée ne soit lisible.

Ben et Martin, soyez reconnaissants aux syndicats d'avoir généré le rassemblement d'une population les dépassant très largement. D'où, à Paris, un bordel inhabituel presque paralysant avec ces cortèges de salariés du privé en orbite autour de La Place de la Nation qui en croisaient d'autres, en révolution opposée, tout aussi enragés et même pas syndiqués. Si vous étiez venus, vous auriez vu la volonté d'en découdre de ces vendeuses en tailleur, avec imitations Ray-Ban en guise de serre-tête, qui se pensaient protégées à vie dans leurs magasins de luxe et dont je ne pouvais croire il y a juste deux mois que je les verrais hurler, ici et avant vous, leur colère. Croyez-moi, cela rassure quand à l'éventualité d'un changement de société.

Sur ce long boulevard de la colère jonché de boutiques en liquidation judiciaire, défilèrent aussi des néophytes du barouf social, des petites dames âgées tendance
Chanel avec des panneaux pour la sauvegarde des retraites, des secrétaires appelant leurs boss jadis vénérés à les payer plus sinon "ça va chier", des solitaires avec leurs cartons bricolés petit commerçant étouffé et un petit monde de droite en pleine repentance : Excusez ma terminologie limite UMP mais j’y vois plus qu’un énorme progrès : Un gigantesque pas en avant !

En 50 jours, on est passé du rêve générale au désir de potence. Que l'intéressé nous mente c'est une chose, mais qu'il ne se mente pas: Il était bel et bien la cible de la manifestation.

Passé le trophée de la mobilisation, cette masse d'anonymes submergeant leurs couleurs est embarrassante pour les barons syndicalistes : C'est la preuve par l'image que le management de la rage sociale leur glisse entre les doigts. Ce qui, là aussi, devrait vous réjouir. Pour ma part, leur cuisine interne est le cadet de mes soucis. Que le syndicat le plus efficace pour défendre les salariés rafle la mise, tant mieux pour tous.

Prenez les organisations syndicales pour ce qu’elles représentent : Le dernier rempart avant la soumission générale. La flamme du syndicat inconnu brûle encore dans sa base, c'est le principal. Elle est essentielle. Sans braises pas de reprise de feu.

Peu importe que l’unité soit de bric et de broc. Avant de reconduire les grèves, il faut déjà les assurer et en faire des triomphes de mobilisation. C'est ce qui marque l'opinion.

Le principal reproche que je ferais à la manifestation de jeudi dernier (à Paris), ce n'est pas "la sono ringarde" ou "la confiture des revendications" mais son déficit en jeunes. Sur le réseau, ce sont pourtant les premiers à se plaindre, à raison, qu'on ne les écoute jamais.
Contester la contestation du bout de son clavier parce qu'elle n'est pas assez guadeloupéenne, c'est s'aligner sur ces salariés aigris appelant RMC pour se plaindre des syndicats preneurs d'otage, être à l'unisson des commentaires d'internautes du Figaro.fr les traitant de mauvais citoyens, cautionner le grand ça sert à rien de la propagande Medefo-gouvernementale. Cette dernière, aidée par ce travail de sape n'a plus qu'à, entre une offensive de com' sécuritaire la veille et un discours de Fillion le soir même, marginaliser cette journée et la réduire à un happening anecdotique pour rétrogrades sous cloche.

Mécanique de droite à laquelle, jeunes amis de gauche, vous avez contribué.


Alors oui, cette promesse des barons le 20 au matin, d'une décision d'action concertée à définir bientôt pour agir au mieux a de quoi décevoir les plus affamés. A eux, à nous, de trouver de nouvelles voies et de nouvelles opportunités, sans dénigrer celles qui ont fait leurs preuves.

La meilleure méthode pour rester motivé ?

Compter sur ses ennemis. Eux ne se défilent jamais.

20 mars 2009

19 mars, la rue unanime : Il doit payer !

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En attendant que je me remette de mon insolation, voici des images filmées à Paris hier dans des cortèges débordant largement la mobilisation syndicale (salariés du privé, petits commerçants, retraités, étudiants...) et à l'humeur gravement détériorée par rapport au 29 janvier.

Le leitmotiv initial du mouvement :

"Casse-toi Pov'con !"

Sa prochaine étape en fin de vidéo :



Rubrique "Conseils pratiques" :
Il ne fera pas bon être un patron, un banquier, s'appeler Sarkozy et se promener sans garde renforcée dans les prochaines semaines.

Rubrique "Le parti socialiste n'est pas mort" :
Si, si je vous assure, il est encore en vie : Il tenait une baraque à frites à l'écart des autres, Boulevard Diderot.

Rubrique "Il faut bien rire parfois" :
Tandis que 400 CRS raflaient 300 jeunes place de la Nation vers 20 heures, au sous-sol, une voix intérimaire de la RATP nous annonçait que :

"Suite à des mouvements sociaux, le trafic du métro est normal."

Big up aux salariées de Marionnaud.
Merci pour leur sens du partage et leur hospitalité à Stéphane, Marc et à Marty (je crois).

18 mars 2009

Tapis rouge

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Illustration : Paris, enflammé par la commune. Numa fils. mai 1871. (Musée d'Art et d'histoire de Saint-Denis.)[1]


En cette veille de bûcher pré-printanier, par avance merci.

Merci à Madame Parisot, présidente du Medef, pour sa brillante synthèse de tout ce qu’il faut dézinguer.

Merci à nos sponsors : Total, Continental, PPR, Arcelor Mittal, Vallourec, La Camif, Dynastar, Sony, Faurecia, Clarion, Foncia, PSA, Natixis, Renault, Renault Trucks, Adecco, Kronenbourg, Lear, Hutchinson, Pfizer, les notaires de France, St Gobain, 3M santé, Wagon automotive, Facom, FM Logistic, Texas Instruments, IBM, HP, ST Micro electronics, Philips, Ebay France, yahoo France, Sopal, Terrasson, Salomon, Senden, Willof, Bloomberg television (!), Caisse d’épargne, ACI, Akzo Nobel, Altadis, Beghin Say, Caterpillar, Chanel, Céléos, Deshoulières, Dim, Ford, Fischer, Henckel, Imerys, Kaufman and Broad, Lennox, Michelin, Novatech, Novelis, NXP, NYSE euronext (!!!), Plastic Ommium, PSA, Raynal, Sanofi Aventis, Siemar, SKF, Tyco, Valeo, Les Trois suisses, Motorola, Nipson…

Excusez-moi de ne pas pouvoir tous les citer, ils se reconnaitront.

Merci, à titre posthume, aux PME, TPE et artisans.

Merci à mon voisin de me rappeler, chaque jour que notre omni-président fait, ce qu’est un jeune troufion libéral à la cervelle liquéfiée par vingt ans de propagande télévisuelle au service exclusif du marché.

Merci à ses parents retraités de me remémorer, avec cette constance dans la petitesse et l'égoïsme forçant le respect, que l’homme de droite, sans forcément rouler sur l'or, est mentalement structuré pour défendre l'aristocratie parasitaire qui l'oppresse (pourvu qu'elle le fasse en jouant des mécaniques et avec une grosse montre qui brille au poignet) face à ces rétrogrades indigents (racaille syndicaliste à calicots ou socialistes opportunistes) qui pleurnichent sur un service public en déconfiture (alors que notre retraité de droite en est le plus gros consommateur) et une paupérisation exponentielle dont notre individualiste tout terrain s'imagine à jamais préservé, non sur la base de sa culture, de son érudition ou de son expérience de la vie mais bien de son patrimoine immobilier, son portefeuille d'actions et de sa 307 climatisée.

Merci à lui d'être un pion au regard vide face aux barbaries qui l'entourent mais à qui jusqu'à la fin, j'essayerai quand même de faire comprendre qu'en golden-parachutant un poltron pareil à la présidence, de droite ou pas, avec maison ou non, 307 ou sans, il a signé pour, tôt ou tard, lui, sa femme et son enfant, rajouter leurs noms au bas de la liste des indigents.

Merci à tous ces salariés du privé qui, au nom de leurs crédits pour rembourser le canapé d’angle ou de ce Picasso à acheter, et surtout, histoire de camoufler une pleutrerie bien humaine, gueulent sur les privilégiés du public qui eux peuvent faire grève, ces voleurs de salaire. (Message personnel : Je suis passé hier à 14h dans un gros Darty des boulevards. Je vous assure que, hormis prendre l'air, faire grève ne changerait pas grand chose au quotidien de ses salariés : Sans clients, avec une activité commerciale au strict zéro, les employés s'y tournaient les pouces, honteusement payés à ne rien faire ! en attendant le plan social)

Merci à toutes ces réformes gouvernementales nécessaires pour être compétitif et renouer avec le plein-emploi (Un gros carton).

Merci à cette modernité, condition du progrès collectif et du bien-être individuel, qui faisait défaut à La France : De la hot-line payante du Pôle Emploi à la geôle injustifiée pour Julien Coupat en passant par le fétide festival législatif de la répression protéiforme. Elle entretient notre haine sur une base quotidienne, la propageant peu à peu à l’ensemble des français.

Merci à Coco pour son relais people (un poil kamikaze) qui nous rappelle que nos réalités et celles des ricaneurs à vendre du dvd, ne se rencontrent qu'une à deux fois par an lors de l'acte d'achat : 20 euros en supermarché pour des galettes en plastique à potentiel subversif expurgé.

Merci au pouvoir d'achat d'avoir tenu ses promesses : Du clodo d'en bas à Buffett, personne n'en aura jamais assez.

Merci aux banques pour ce hold-up, coming-out sans équivoque.

Merci aux médias pour leur cosmétique de l'information.

Merci à la morgue répétée des nervis de la droitocratie, le petrole-âne ou la murène qui, la tête sur le billot, ne pourront plus dire : "Nous n’avons rien vu venir, on ne l'a pas cherché !".

Merci au désarroi français, pénible mais indispensable pour évoluer. Pas de renversement sans rage.

Merci à vous de ne jamais renoncer.

Merci au capitalisme, version archaïque, d’en finir avec lui-même.

Merci au Fouquet’s.

Merci à Carla B. pour le symbole et les manuels d'histoire de nos enfants.

Surtout, surtout, merci au président, à son autisme social et à son intervention de dernière minute : Même avec un vent favorable, pas de bon de brasier sans étincelle.

Et souhaitons-lui d'avoir un bon bouclier.

[1] Pour les fans de date : La commune de Paris a débuté un 18 mars.

16 mars 2009

15 mars : ouverture de la chasse aux pauvres sur radio-proprio

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C'est plus fort que moi. Réflexe conditionné par une éducation bourgeoise, chaque matin je lis l'éditorial du Figaro* et j’écoute un flash-info sur Europe 1 : Façon efficace de démarrer la journée sur un bon boost de rage.

Le week-end, ces deux médias sont encore plus prompts qu'en semaine à servir sur un plateau doré à la droite gigot-fayots, ce qui cajolera au mieux ses convictions et ses intérêts.


Ce dimanche 15 mars à 8 heures du matin, la rédaction de
Lagardère s'est fendue d'un sujet sur la fin de la trêve hivernale permettant aux bailleurs, depuis à peine deux heures, d’expulser leurs locataires en retard dans le règlement des loyers. S'alarmant des dernières déclarations pourtant pas violentes d'une Chrstine Boutin garantissant qu'il n'y aurait plus d'expulsions sans solution de remplacement, la radio (des rentiers) de mai 68 opte, pour seul angle d'analyse, de se ranger derrière les propriétaires abusés par les ignobles locataires.

C'est parti pour 1 minute 15 d'injustice sociale :



Voyons-y un pudique appel du pied de la part du club des proprios à l'attention de l'assemblée des pesticides législatifs afin qu'elle lui livre au plus vite un spray anti-mauvais payeurs digne de ce nom.

C'est vrai, merde, y en a marre de ces sales gens qui profitent de leur précarité pour contrarier les revenus des riches !
La barbarie tranquille de la droite ? Ce sont ses médias qui en parlent le mieux.
[Update raccourci de ce billet à 14h40. Merci à Marc, Denis et loloster pour le mp3 qui parle de lui-même (me contacter en privé pour les bières promises !)]


* Le dossier du Figaro magazine de ce dimanche s'intitule "Immobilier, profitez de la baisse."

14 mars 2009

Communication de crise chez Bouiboui mobile

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De : Kevin Latouche, responsable région, Bouiboui mobile
A : Managers des boutiques de ma région.
Objet :
Encadrement alerte productivité

Melun, 12 mars 2009


Bonjour à tous,

Nous connaissons un dérapage des ventes depuis deux mois et un très mauvais démarrage de notre gamme Kador.

Le mois a mal commencé. Cette semaine risque sera encore très dégradée en chiffre d'affaire (la direction m’annonce –25%). Pour ne pas revivre un début d’année aussi catastrophique, nous devons réagir immédiatement sur l'organisation et la gestion des heures du personnel.

En conséquence, voici les actions immédiates de mon plan d'action pour réagir tout de suite :

- Ne faites appel à aucun intérimaire sans mon autorisation explicite.

- Pas de remplacement des malades, des absences pour congés maternel ou repos.

- Demandez à vos équipiers de prendre tous leurs congés payés maintenant.

- Pas d’heures supplémentaires. Demandez-leur de récupérer leurs heures en trop sur le mois suivant.

- Les responsables de magasin doivent me faire des propositions de nouveaux congés et des RTT à la place de ceux du mois de mai. Je veux tout le monde dispo en Mai. C'est aux beaux jours que nous avons besoin de l'équipe. Quand il fera beau le consommateur reviendra surement en boutique.

- D'ici là, je n’autorise aucun samedi Off.


- Pour la pré-embauche des interimaires déja en cours, vous devez négocier la baisse temporaire (jusqu'à reprise de l'activité) de leur contrat avec eux et leur agence. Passez les de 35 h à 20 h (avec leur accord bien sur). Pour les renouvellements des contrats de pré-embauche, diminuez automatiquement la base horaire après prévenance au candidat et explication de la situation. Je serai votre coach sur la maîtrise de cet entretien.

- Pas d'ajout d'heures pour la gestion de l’opération «Un forfait placé = Un éthiopien sauvé = 10 centimes de plus sur ta paye». INTERDICTION FORMELLE de coller des pastilles -15% sur les téléphones de la gamme Kador avant lundi. Le swiftage des stickers pourra se faire à mag ouvert. Impératif d'avoir terminé avant 12 h.


Samedi prochain, développez les indicateurs TT (Taux de Transformation) et PM (Panier moyen), grâce à la stimulation clientèle. Chaque client doit être abordé, la discussion doit insister sur la nouvelle gamme Super Kador. Placez le plus souvent, le mot "gratuit".

Reprendre mon message d'animation de dimanche dernier concernant l'achat de bonbons et la présence d'un panier à sucettes au niveau du regard des enfants.

Ce mois-ci, vous devez avoir un raisonnement en économie d'heures et objectif de productivité horaire et non plus en indice de performance.

Nous passons en mode de crise : Bottom-to-bottom. La meilleure performance d'heures économisées à l’intérieur d’une boutique devient la référence pour les autres boutiques.

Pour les responsables de magasin qui n'ont déjà plus d'équipe, merci de ne pas saper le moral des autres responsables.

J'exige votre implication pour l'amélioration de nos objectifs. Ce n'est pas parce que nous sommes au bord du ravin qu'il nous faut cesser d'aller de l'avant.

En toute humilitude, je reste à votre écoute en 24/24, tout le week-end, en ce qui concerne vos solutions pour économiser les heures afin de ne pas mettre en péril notre développement d'entreprise par une mauvaise réactivité à la tendance actuelle.



Kevin Latouche, Responsable région (section Borderline avec le code du travail).
latouche-of-classe@meme-au-fond-du-trou-on-se-battra-pour-nos-bourreaux.com



8 mars 2009

une affaire qui roule (conte de la consommation contrariée)

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Au crépuscule, les grues des chantiers abandonnés découpaient la ligne d'horizon de cette banlieue reculée. Depuis sa terrasse au cinquième étage de la tour Utopia en plein square Coluche, Laurent fixait pensif les barres d’immeubles, tiraillés entre modernes et en ruines, mouchetées de leurs écriteaux A vendre ou A louer.

Stoppant net l'anticipation que son appartement (dont la dernière mensualité serait réglée quand sa gamine, née au sommet de la bulle immobilière, atteindra son âge) poursuive sa déconfiture foncière,
Laurent jeta son mégot du balcon, visant discrètement ces enfants un peu trop bronzés chahutant en contrebas entre quelques sans-logis. Objet de sa haine : Ces misérables accentuaient la décote d'un quartier que les promoteurs lui avaient juré prometteur.

Magali s’assit à ses côtés sur le transat en faux Tek Ikebas, s'allumant une roulée. Après le discount, ventes-élitistes.com et l'achat d'high-toc à prix cassé sur internet, la droguée des marques s'adonnait à cette grande découverte des collègues de bureau dans la même panade financière qu'elle : Les roulées, c’est moins cher.


- Alors Love, tu le veux vraiment ce deuxième enfant ?
Pas vraiment convaincue que la première tentative, coûteuse, colérique, ultra-matérialiste et hyper-active, fusse un succès.
- Pas avant que l’on ait un Picasso. Lui répondit le trentenaire se rongeant les ongles.

Comme il n’avait plus d’épargne, l'endetté avait demandé un plan de relance à ses parents et beaux-parents pour financer l’apport initial d'un monospace gris métal, 5 portes et 6 places. Il attendait la réponse, angoissé. Magali approuvait. Plus que leur Polock vieille de déjà deux ans et désormais sans valeur parce qu'elle vient tout juste d’être finite de payer, un Picasso s'accorderait tellement mieux avec la maison secondaire des parents à Oléron où le couple se rendait en vacances chaque année parce que, comme les roulées, ça coute moins cher.

Pour achever de convaincre une Magali par ailleurs pas chaude pour tenter une cinquième fois de décrocher un permis de conduire bien trop onéreux, Laurent s'empressa de vendre La Polock à ce con de voisin du troisième : 2000 euros sans discuter.
- Tu comprends Love, il nous faut une voiture. A moins de 15.000 Euros[1] on ne trouvera rien. Rabâchait Laurent depuis des semaines en feuilletant les catalogues sur papier glacé du concessionnaire de voiture de luxe à bon marché l'ayant alléché au rabais spécial crise.

Chef de budget déficitaire, Laurent incitait depuis peu Magali à faire du baby-sitting et des ménages le soir dans les beaux quartiers en plus de son poste de conseillère clientèle en prêts bancaires pour mettre du beurre dans les épinards et de l'essence dans le réservoir.


- Je sais bien, Love.
S'excusait la femme libérée.
Ne se faisant pas à l'idée de devoir patienter pour posséder, depuis deux jours, Laurent craignait anxieux que la subvention familiale soit refusée, ce qui froissait le moral de Magali. Du coup la jeune maman, selon son homéothérapeute attitré, était victime d'une rhinopharyngite à picornaviridés au pronostic incertain. Ce que les hérétiques qui ne regardent pas Grise anatomie ou Dr Maousse nomment trivialement : Un rhume à la con qui finira bien par se guérir.

En cas de refus, les fondements de leur économie domestique vacilleraient.

Les parents de Laurent et Magali se dépatouillaient également dans une période confuse, embourbés dans des retraites pas aussi juteuses qu’ils l’escomptaient par rapport au train de vie dont ils jouissaient depuis des années. Mais ceci est une autre tragi-comédie sur laquelle nous reviendrons dans un autre billet.
- La vache, c’est le moment de faire des affaires ! Lança le jeune dopé aux agios, gonflé par la confiance, comme les dirigeants pour qui il avait voté et voterait encore, que ce monde de croissance dont il avait été le témoin gâté depuis son enfance, même s'il souffrait de ratés, jamais ne se briserait.
L'aubaine :

- Les voitures sont graves moins chères !

A croire, pour celui qui y réfléchissait un peu, que leurs prix d'avant la crise étaient du vol. Obnubilé par la carotte, Laurent s'en persuadait à longueur de Capital : La crise avait du bon pour ceux qui étaient malins.
Certes, des menaces pesaient sur l'avenir professionnel du jeune homme. Magali, elle, s’était déjà vue supprimer ses heures supplémentaires et sa prime sur objectif. En un semestre, les revenus du couple avaient diminué de 15%. Les traites s’accumulaient. Quant aux impôts locaux...

- M'en parle pas Love, putain d'impôts pour payer ces assistés qui font que gueuler !

Ce couple se vivait à la peine
. L'horizon
du toujours plus, garanti sans aspérités, arc-en-ciel professionnel et chamallows télévisés inclus, s'obscurcissait. Immédiatement, par instinct de survie, Laurent et Magali reprirent leurs esprits en se répétant le mantra de l'abbé Pierre :

- Mais c'est pas possible...


Dans le monde de l'après-crise, ils pourraient toujours se raccrocher aux deux fondamentaux de la classe moyenne : Travail salarié et consommation récompense. En échange d'un labeur où, à jamais, ils se dépenseraient sans compter, ils comptaient toujours dépenser contents. Comment pouvait-il en être autrement ?

En attendant le retour de la croissance promise, il fallait se serrer la ceinture, ne pas la ramener au boulot et slalomer tête baissée entre les plans sociaux.

Tout de même : Quel stress !

Pour se rassurer et parce que l’état les y incitait, sur la base de 25 ans de vu a la télé et d’observations de l'hystérie familiale en camp de consommation hédoniste, le petit couple faisait comme toujours
pour dissiper sa terreur : Il achetait.
Le soleil disparaissait derrière la colline enclavant la zone aux endettés.

Amoureux de sa vie gadgetisée à la vitrine constamment réassortie, le couple se prit la main. Elle, songeait à cette table en verre poli vue chez Mondial Bibelo qui irait si bien avec sa desserte en imitation marbre retro éclairée dans la chambre d'amis où dormaient les cartons d'objets et, parfois, des objets même pas déballés. Lui, voyait dans les yeux de sa belle le Picasso se fondant entre les autres sur le parking du boulot. La différence, il la ferait : Sur le sien, il y aurait une boule pour tracter.

Dans un instant, il ferait nuit .

- On va s'en sortir Love.
Avec leur toit sur la tête, ils ne seraient pas les premiers à sombrer sur le champ de bataille. La première salve serait pour les pauvres, ceux d'en dessous qui les répugnaient. Et après ? Qui rampera au combat ? Après on verra.

L'hiver pas fini, sans soleil, un frisson les envahit.
Ils restèrent interdits un instant quand le téléphone sonna. Ils n'étaient plus habitués à avoir des appels. Magali décrocha le combiné designé par Starck, une perle de technologie.

Laurent tremblait en fixant sa moitié de revenus. Le voile de ténèbres plombant son expression fut vite décodé par l'intéressée.
Sous la forme d'un refus des beaux-parents de Laurent (secrètement motivé par l'envie des retraités d'acheter un appartement au soleil) et après les restrictions salariales, un nouveau boulet de canon de la sale guerre économique estropiait le jeune couple, cette fois dans ce qui lui tenait le plus à cœur et conditionnait son union : Le pouvoir de dépenser.

- Tu verras Love, un jour on se vengera.


[1] 144 euros/mois, contrat d'assistance pour 2 ans inclus.



Seb Musset est l'auteur de Avatar et Perverse Road disponibles ici.

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